À 74 ans, l'interprète d'Un Lapin remonte sur les planches du Théâtre de Paris jusqu'au 31 décembre. À cette occasion, Le Figaro republie un entretien exclusif et détonant de la chanteuse française, paru le 14 janvier 2014 dans les pages du quotidien. Chantal Goya retrouve pour les fêtes de fin d'année son personnage féerique de Marie-Rose, près de 40 ans après avoir chanté pour la première fois «Ce matin, un lapin...»
À 74 ans, la chanteuse fait son retour sur la scène du Théâtre de Paris (IXe arrondissement) jusqu'au 31 décembre, dans un spectacle créé en 2015 par son époux Jean-Jacques Debout: Les Aventures fantastiques de Marie-Rose. En 2017, l'interprète de Pandi Panda partira en tournée au fil des régions jusqu'en avril.
À cette occasion, Figaro republie un entretien exclusif de la chanteuse, publié dans les pages du quotidien le 14 janvier 2014. Elle y raconte son enfance en Indochine, ses débuts au cinéma, sa rencontre avec Godard, la création de son personnage, Marie-Rose...
LE FIGARO - Votre personnage, Marie-Rose, a 40 ans. Et vous, qui ne le cachez plus, 71 ans non liftés. Mais vous ne faites toujours pas votre âge. Un secret? Chantal GOYA - Je préfère Photoshop à la chirurgie esthétique (rires)! Ce doit être dans les chromosomes. Ma mère est comme ça. C'est surtout un état d'esprit. Je suis d'un naturel optimiste. J'ai toujours remonté le moral de tout le monde. Même dans les pires situations, dès ma petite enfance, en Indochine.
Vous avez quitté l'Indochine en pleine guerre, à l'âge de 4 ans. Quel souvenir en gardez-vous?
J'avais 3 ans et demi quand il y a eu l'invasion par le Viêt-minh. Je revois mon papa sur un chariot, attaché, à qui l'on devait couper la tête. Et des chiens fusillés devant moi. Maman nous disait, à mon frère Alain et moi: il faut vite se cacher, sinon ils vont nous prendre. Nous vivions isolés dans la plantation de caoutchouc où papa travaillait. Un jour, l'armée est arrivée devant notre maison, elle cherchait des Français. Je suis allée ouvrir la porte et, inconsciente du danger, j'ai dit à l'officier de m'attacher les souliers. Le général s'est penché, m'a noué les lacets avant de décider de partir avec ses soldats. Ce jour-là, j'ai sauvé la famille.
Vous souvenez-vous de votre arrivée en France?
Je me souviens de la traversée jusqu'à Marseille. Sur le bateau, j'ai attrapé toutes les maladies possibles. Je me rappelle le canal de Suez avec cette mer turquoise et tout le sable rouge. Maman m'a raconté que j'avais ouvert le hublot et jeté toutes ses affaires en disant: «C'est pour que les poissons aient de belles robes.» Ma mère est arrivée à Marseille en combinaison de soie. Puis nous sommes allés à Paris, rue de Paradis, à la Cristallerie de Saint-Louis où travaillait mon grand-père. J'ai alors dit à maman: «Tu vois, au lieu d'être dans des endroits tellement tristes, on est au paradis.»
Vous avez fait votre scolarité dans une école religieuse. Et, après le baccalauréat que vous n'avez pas eu, vous êtes partie en Angleterre…
Je n'ai pas eu mon bac parce que je ne suis pas allée à l'oral. Du coup, mes parents m'ont envoyée en Angleterre comme jeune fille au pair. C'était bien. L'année 1962, l'arrivée des Beatles. Tout était permis. Je voulais être journaliste de mode. La musique et le cinéma, ce n'était pas mon truc.
Vous avez pourtant commencé par le cinéma, avec Godard.
J'avais 18 ans. Jean-Jacques (Debout, NDLR) m'avait présenté Daniel Filipacchi qui venait de créer le magazine de l'émission Salut les copains, dans lequel je voulais écrire. Assis dans un coin, Jean-Luc Godard m'a observée pendant deux heures. J'avais remarqué son regard bizarre mais n'en avais rien dit. Quand je suis partie, Godard a dit à Filipacchi: «Je veux cette fille.» Daniel m'a appelée: «Il vient de faire À bout de souffle et veut réaliser Masculin féminin avec toi en vedette.» Je n'avais jamais pris de cours de comédie. C'est pour cela qu'il me voulait. La première séquence était dans un café avec Marlène Jobert qui tournait aussi son premier film. Soudain, Bardot est entrée. On s'est écriées: «Oh! C'est Brigitte Bardot!» Ce n'était pas écrit dans le scénario. Et c'était exactement ce que Godard voulait.
Jean-Luc Godard voulait vous voir déshabillée. Votre refus vous aurait desservie…
Godard voulait que je sois à poil dans la salle de bains et j'ai dit non. Je me suis cachée sous le lavabo. Marlène s'est déshabillée, m'a dit de ne pas m'en faire, qu'elle passerait à deux reprises devant la caméra de façon à faire croire qu'il s'agissait de moi une fois. Tu parles! Godard avait bien vu. Il m'a dit: vous ne serez jamais une star. Je lui ai répondu: la seule «Vedette» que j'ai, c'est ma machine à laver.
Vous allez pourtant persévérer au cinéma.
J'ai même obtenu un prix d'interprétation pour Masculin féminin, sorti en 1966, au Festival de Sorrente en Italie. En réalité, à chaque audition, on me disait que je faisais trop jeune. Le seul qui me voulait, c'était Hitchcock pour un film aux États-Unis. Mais j'étais enceinte de ma fille Clarisse et je n'ai pas pu y aller. Claude Jade m'a remplacée. Entre-temps, j'ai fait L'amour c'est gai, l'amour c'est triste de Jean-Daniel Pollet, sorti en 1968. Et quelques autres. À chaque fois, je demandais: «Comment on fait?» Car je n'ai pas une âme de comédienne, je suis trop sincère, trop dans la vérité. Je ne sais pas me transposer dans un personnage.
Marie-Rose, c'est pourtant bien un personnage.
C'est différent, il n'est pas loin de moi. Au cinéma, je suis terrorisée de devoir changer ma façon de parler. Dernièrement, j'ai quand même tourné avec Gabriel Aghion (dans Absolument fabuleux, en 2001, NDLR). Mais c'était mon propre rôle.
Le théâtre ne vous a jamais tentée?
Cela serait compliqué. Il m'arrive d'avoir des trous de mémoire et de le dire en public. Sur scène aujourd'hui, je fais rire, je me décale complètement du script. On ne peut pas être sérieux dans un personnage de Marie-Rose à 71 ans!
Vous avez le sens de l'autodérision.
Oui, beaucoup. Vu tout ce qui m'est arrivé, c'est devenu sacré pour moi.
Vous faites allusion à l'émission qui a laminé votre carrière, Le Jeu de la vérité de Patrick Sabatier, en 1985. Comment avez-vous traversé cette épreuve?
Comme une fusée. C'est quand on est influençable qu'on souffre. On a cru que j'étais comme un oiseau sur la branche et que j'allais tomber parce qu'on m'a connue timide, polie aux côtés d'un Jean-Jacques Debout que beaucoup de personnes voulaient fréquenter pour devenir célèbre. Ce n'était pas mon cas. Aujourd'hui, je renais de mes cendres. Mais, vous savez, si l'émission avait eu lieu maintenant, un tel cataclysme ne serait jamais arrivé. On aurait dit de moi que j'étais complètement naturelle. J'étais trop en avance sur mon temps. Je faisais des jaloux. En 1982, Barbara m'avait dit que ce serait très dur parce que j'étais en décalage de tout. J'avais 40 ans et j'en paraissais 22. Je faisais des spectacles qui n'existaient pas en France. En me voyant pour la première fois dans La Forêt magique, Bruno Coquatrix a dit: «Elle vient d'inventer le music-hall pour les enfants.» À l'époque, je jouais trois fois par jour à l'Olympia. On vendait 20.000 disques par jour. J'ai vendu 40 millions de disques, alors qu'au départ, un jour de 1975, j'étais juste venue à la télévision pour faire plaisir à Maritie et Gilbert Carpentier à qui Brigitte Bardot avait fait faux bond. J'ai chanté avec les gosses du village Adieu les jolis foulards en clin d'œil à la Martinique où maman est née.
Finalement, cette polémique a pu faire émerger la vraie Chantal Goya, pas Marie-Rose.
Exactement. J'y avais été enfermée par mes producteurs et surtout par mon attaché de presse de l'époque, Gilles Paquet, pour qui je ne devais pas sortir de Marie-Rose, de ses vêtements, de sa gestuelle. C'était absurde! Sur la scène, je suis Marie-Rose parce que je fais rêver les petits. Mais dans la vie, chez l'épicier, le boucher, avec les huissiers, les avocats, croyaient-ils que je restais en costume de Pierrot? Mon grand show du Jeu de la vérité, c'était au quinzième degré. Or, à l'époque, tout était sérieux. J'étais avec ma robe de scène et je réagissais en Mme Debout. Peu importe ce que je disais, j'étais toujours une conne avec ma robe! Après ça, il a été de bon ton de gloser sur Chantal Goya. Même Guy Bedos, qui était un ami, racontait des horreurs sur moi. Je lui ai rétorqué: «Je ne savais pas que tu avais autant de temps à perdre!» Avec Jean-Jacques, on a fini par énerver. Parce qu'on énerve quand on réussit en France, il ne faut pas l'oublier.
Jean-Jacques Debout a-t-il souffert du Jeu de la vérité?
C'est évidemment lui qu'ils ont voulu toucher. Or, contrairement à moi, mon mari se désespère. Il est pessimiste, anxieux, angoissé. Mais sans lui, je ne serais pas là. Je ne sais pas écrire de chansons. Il a su voir ce qu'il y avait en moi, ce dont je n'étais pas même consciente. Quand il me voit sur scène, il pleure. Il sait que tout ce qu'il a fait, dans sa jeunesse avec moi, est là.
Et puis, au tournant des années 2000, vous êtes devenue une icône gay. Comment l'avez-vous vécu?
Au début, je n'ai rien compris à ce qui m'arrivait. Gabriel Aghion a eu l'idée de me faire chanter au Scorp, à Paris. Il y avait une telle queue! J'ai cru que tous ces gens habillés en carottes et lapins attendaient une star. Non, c'était pour moi. Les gays, si souvent victimes d'injustice, ont compris ma souffrance, ma sincérité. Devant moi, ils retrouvent leurs 5 ans. De la scène, je vois les gros malabars avec les yeux tout rougis. Aujourd'hui, j'ai passé l'âge de faire des discothèques. Mais cela a été une expérience formidable où je pouvais être totalement moi. Avant, les boîtes de nuit, je n'y allais jamais: je me couche tôt, ne fume pas, ne bois pas d'alcool.
Vous ne buvez pas, est-ce par rejet de l'alcoolisme dont a souffert votre mari?
J'aime bien rester maître de mon cerveau. Jean-Jacques, lui, ne boit plus du tout. Il buvait de bons coups, avec des copains, pas tout seul. Une vraie personne qui boit, c'est toute la journée. Lui non. On lui a donné à tort une image d'alcoolique.
D'où vient votre nom de scène, Goya?
Un jour que nous étions chez notre ami, le poète Guy d'Arcangues, près de Biarritz, celui-ci me dit en regardant sur son mur le grand portrait de Manuel Osorio peint par Goya: «Tu ressembles à ce petit garçon aux grands yeux noirs avec la collerette blanche. Si un jour tu chantes, tu devrais t'appeler Goya.» C'est quand même mieux que Chantal de Guerre, mon vrai nom.
Le fisc vous a longtemps poursuivie. N'avez-vous jamais été tentée par l'expatriation?
Non. Et puis Jean-Jacques ne parle pas anglais. Cela aurait été bien il y a trente ans. Pas à cause du fisc, mais des opportunités. Maintenant, je suis trop attachée à ma famille, mes petits-enfants. Surtout, je suis fière de jouer en France, de faire rêver dans la morosité ambiante. Tous les costumes, les décors sont fabriqués en France. Plus tard, j'essaierai de trouver des Marie-Rose dans le monde entier. J'aimerais que mes spectacles soient donnés en Chine, en Inde, au Japon, aux États-Unis, etc. Je dis à mes petits-enfants que s'ils savent s'y prendre, je leur ai préparé une mine d'or: six grands spectacles qui n'ont jamais été traduits. Ils pourraient faire comme Disney mais avec une Française. Et même un parc, avec le soulier qui vole comme attraction et un château hanté en nougatine.