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Mort de Pierre Barouh, auteur de la chanson du film " Un homme et une femme " et de « La bicyclette »

Il y a un peu plus d’un mois, le 22 novembre, Pierre Barouh nous recevait dans la cuisine de sa maison parisienne, dans le 5e arrondissement, pour raconter l’histoire du label Saravah, qu’il avait créé en 1966. Cinquante ans, pour un label indépendant, cela relève du miracle.
 
A 82 ans, œil rieur et crinière blanche, il se déplaçait lentement mais retrouvait sa jeunesse en parlant. Ou en chantant. Il avait beaucoup d’histoires en tête qui emmenaient au Brésil, au Japon, dans le Paris des années 1960 où il déambulait entre Saint-Germain-des-Prés et Montmartre, et finit par croiser Jacques Higelin, Brigitte Fontaine, Areski Belkacem… Hospitalisé pendant cinq jours à l’hôpital Cochin, à Paris, Pierre Barouh est mort mercredi 28 décembre « à la suite d’un infarctus », a annoncé son épouse, Atsuko Ushioda.
 
Il reste d’abord comme le parolier de deux chansons dont son ami accordéoniste Francis Lai, âgé de 84 ans, a composé la musique : Un homme et une femme, tirée du film de Claude Lelouch (1966), et La Bicyclette, interprétée par Yves Montand en 1968. « Pierre Barouh est la seule personne dont j’ai écouté les conseils. Et son regard sur le monde est omniprésent dans la plupart de mes films », a tweeté Lelouch en hommage. Sur le tournage d’Un homme et une femme, Barouh rencontrera Anouk Aimée, avec laquelle il sera marié pendant trois ans.
 
C’est précisément pour éditer les chansons d’Un homme et une femme, dont personne ne voulait, que Barouh a créé son label Saravah – un mot africain qui signifie le salut, la bénédiction. Mais le milieu du show-biz a vite changé d’avis lorsque le film obtint la Palme d’or à Cannes. Barouh a décidé dès lors de n’en faire qu’à sa tête, en donnant sa chance à des artistes de tous horizons.
 
Saravah renvoie aussi à la Samba Saravah qu’il avait enregistrée à Rio de Janeiro en 1966 avec Baden Powell (1937-2000), une adaptation de la Samba da Bençao du guitariste brésilien. Barouh fut le premier passeur de la bossa-nova en France après avoir acheté en 1959 à Lisbonne le disque Chega de Saudade, nouveauté d’un chanteur-guitariste nommé Joao Gilberto. « J’ai usé les sillons jour et nuit sur mon Teppaz,racontait-il au Monde en 2005. Je n’avais jamais imaginé des enchaînements harmoniques pareils. » A Paris, il le fait écouter à tous ceux qu’ils croisent –­ Michel Legrand et Georges Moustaki ­seront les premiers conquis.
 
Sa maison de disques abrite aussi bien la chanson française (Pierre Louki, Jean-Roger Caussimon, Alain Leprest, Claire Elzière, Fred Poulet, en plus de Higelin, Fontaine et Belkacem), les musiques du monde (Nana Vasconcelos, Pierre Akendengué) que le jazz (Steve Lacy, Maurice Vander). Dans un entretien au Monde, en 2005, le musicien gabonais Pierre Akendengué saluait cet esprit d’ouverture : « Mon premier disque [au début des années 1970], je l’ai fait à compte d’auteur car les maisons de disques considéraient à l’époque que l’Afrique n’était qu’un grand dancing. N’avaient leur faveur que les artistes qui faisaient danser. Ce disque est tombé entre les mains de Pierre Barouh, qui y a cru. »
 
Saravah a certes connu des hauts et des bas, mais la marque a cassé les codes de la chanson française, ouvrant les portes à une nouvelle génération, regroupée aujourd’hui dans des labels et des collectifs (Tôt ou tard, Le Saule, Dernière bande, Les Disques Bien, La Souterraine). Pour fêter son demi-siècle d’existence, Barouh et ses proches n’ont pas eu de mal à convaincre une brochette de « jeunes » chanteurs français – Bastien Lallemant, Albin de la Simone, Alexandra Gatica, Jeanne Cherhal, Séverin, Maïa Barouh, sa fille – de monter sur la scène du Trianon, à Paris, le 20 novembre. L’album « Les 50 ans de Saravah » est sorti le 4 novembre.
 
« La vie, c’est l’art des rencontres », aimait dire Pierre Barouh, en citant le musicien, compositeur et poète brésilien Vicinius de Moraes (1913-1980). Celui qui fut aussi journaliste sportif, acteur, metteur en scène, réalisateur – Le Divorcement (1978), avec Lea Massari et Michel Piccoli – se définissait comme un « flâneur ». Né le 19 février 1934 à Levallois-Perret, en banlieue parisienne, il avait 6 ans lorsque ses parents l’ont envoyé, avec son frère et sa sœur, se mettre à l’abri dans la campagne vendéenne pendant la seconde guerre mondiale. « J’ai été accueilli par des gens délicieux, j’ai passé mon enfance à poser des pièges à lapin », se souvenait-il. Quand il rentre, il se sent pourtant en décalage : « J’étais un cancre total. » Sa vie bascule le jour où il découvre, dans son cinéma de quartier, Les Visiteurs du soir (1942), de Marcel Carné. « J’ai commencé à me cultiver dans le désordre, et j’ai décidé de ne rien faire d’autre que de me promener jusqu’à 30 ans. J’ai rempli le contrat », ajoutait-il.
 
Barouh avait aussi une qualité rare, la simplicité. Pas besoin de se pousser du coude, sauf pour jouer au flipper. C’est ainsi qu’est né l’album Comme à la radio (1969), de Brigitte Fontaine, avec Areski Bel­kacem, Jacques Higelin et l’Art Ensemble of Chicago. « Le groupe de free-jazz cherchait un lieu pour enregistrer. Je leur ai passé mon studio aux Abbesses. Puis je leur ai présenté Higelin et Fontaine, et je suis parti faire un flipper. Quelques heures plus tard, ils fabriquaient Comme à la radio. »
 
Pour La Bicyclette, tout a commencé un soir de printemps, dans un club de la rue Saint-Benoît, à Saint-Germain-des-Prés : « Je voyais presque tous les soirs un mec qui travaillait dans une agence de publicité. Il m’a proposé d’écrire un texte pour une pub sur le vélo. J’ai refusé, j’ai dit pas question ! Mais ce copain m’avait mis le poison… Et en marchant dans les rues pour rejoindre Montmartre et mon ami Francis Lai, j’ai commencé à penser aux paroles d’une chanson sur la bicyclette. J’ai confié le texte à Francis, il a composé la musique, et puis le temps a passé. » De fil en aiguille, c’est Yves Montand qui immortalisa le texte, en 1968. Ce que l’on sait moins, c’est qu’il commit une petite mais significative erreur le jour de l’enregistrement – qui ne sera pas corrigée.
 
Avant le dernier couplet de La Bicyclette, c’est la fin de la journée, les copains sont heureux de leur balade, mais tristes de ne pas avoir eu un moment d’intimité avec Paulette – « On revenait fourbus contents/Le cœur un peu vague pourtant/De ne pas être seul un instant/Avec Paulette. ». « Au lieu de dire, “De ne pas être seul un instant avec Paulette”, Yves Montand a dit : “De ne pas être un seul instant avec Paulette.” Et là vous voyez bien que l’image se rétrécit ! », s’exclamait Barouh dans sa cuisine, avant de conclure : « J’ai appelé Montand pour le lui dire. Il m’a dit : “Oh merde, putain !” Mais c’était trop tard. Avec du recul, j’adore cette anecdote qui donne tout le relief d’un mot », souriait-il. Ce qu’il n’aurait jamais dit, c’est que, erreur ou pas, certaines chansons sont éternelles.
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