Pour le spectateur lambda, vivre à Paris est une sacrée aubaine. Voici la ville du monde où sont représentés le plus de spectacles vivants par soir ! Des grandes scènes nationales subventionnées avec metteur en scène tendance et têtes d’affiche aux petits théâtres programmant aussi des spectacles exigeants et de qualité, le choix est large et peut répondre à toutes les envies de théâtre. Seulement, derrière cette offre alléchante se cache une Face B : une réalité économique difficile qui plonge parfois les jeunes compagnies dans des situations dramatiques. Car jouer à Paris coûte cher. Très cher. Et rares sont ceux qui gagnent chaque soir plus que le prix du sandwich qu’ils vont s’offrir en sortant de scène…
Etre à l’affiche à Paris, même dans un petit théâtre caché au fond d’une ruelle, c’est un luxe pour les compagnies qui font la vivacité de notre création théâtrale. Etre programmés plusieurs soirs par semaine demande pour ces artistes un effort financier redoutable. Car les salles parisiennes accessibles à la jeune création non subventionnée n’ouvrent pas leurs portes sur un simple partage de recettes. Le système du « minimum garanti » qui existe presque partout est un gouffre dans lequel tous s’enlisent, faute de mieux.
Mais comment cela fonctionne exactement ? Le principe est simple : lorsque une jeune compagnie signe avec une salle, elle s’engage à verser chaque soir une somme forfaitaire, ce fameux « minimum garanti ». Celui-ci ne se base pas sur le nombre d’entrées. Il est dû, que la salle soit pleine ou vide. Généralement fixé entre 150 à 250 euros hors taxes par soir pour des salles de 50 à 100 places, il peut vite devenir un enfer pour certains qui s’endettent très rapidement. A raison de trois représentations par semaine sur 2 mois, les sommes peuvent atteindre des sommets ! Certains comme le Théâtre des Déchargeurs vont même jusqu’à vous demander en plus, à la signature du contrat, un budget « communication » de plusieurs milliers d’euros. Celui-ci étant destiné à payer le théâtre pour promouvoir votre travail… Car évidemment, à part vous-même, personne ne se chargera d’aller chercher le public.
Mais le système est encore plus implacable. Car une fois ce minimum garanti payé, la compagnie doit reverser 50% de ses recettes au théâtre ! C’est ce qu’on appelle « le partage de recettes ». Au final, ce qui reste ne sert même pas à payer les comédiens….Voilà la réalité. Ces deux systèmes varient selon les théâtres mais le contrat, avouons-le, n’est jamais à l’avantage des artistes car un directeur de salle reste un commerçant. Il n’est pas rare de voir des spectacles quitter brusquement l’affiche car les artistes se sont endettés.
Autre phénomène, de l’autre côté de la chaîne, les taxes à payer à l’Etat lorsqu’on monte sa compagnie. Car sur la somme restante qui sert à payer en cachet les artistes, environ 50% revient à l’Etat. Les salaires étant déclarés, ils sont soumis comme tous les autres aux charges patronales et cotisations. Bien souvent, être comédien c’est aussi être chef d’entreprise, comptable, chargé de diffusion, administrateur…Gérer une compagnie de théâtre est un emploi à plein temps…souvent non rémunéré. Et il est très difficile pour ces compagnies de payer des indépendants dont c’est le métier. Sachez qu’en moyenne, une chargée de diffusion vous demandera dans les 4000 euros pour gérer la vente de votre spectacle…même si au final, elle ne le vend pas.
Dans l’inconscient collectif, l’artiste est trop souvent un bouffon et le payer est une faveur. En fin de chaîne, c’est toujours l’artiste qu’on ne paye pas. On n’envisage pas de ne pas payer un technicien, un régisseur, une maquilleuse mais un comédien, ça coule de source…Le débat qui fait rage aujourd’hui sur le salaire des stars bankable au cinéma n’est pas un hasard…Car en temps de crise, il faut bien trouver des boucs émissaires et les artistes sont une cible facile. Ces salaires, rappelons-le, ne sont pas mensuels, mais ne tombent que tous les deux ou trois ans pour certains, voir plus ! Bizarrement, personne ne s’interroge sur les salaires des producteurs et diffuseurs…Pourquoi? Et pour parfaire le tableau, précisons qu’actuellement, les salles de spectacles sont trop souvent vides et que la fréquentation est en chute libre. D’après le directeur du Théâtre de l’Essaïon, Michel Laliberté, « la saison a démarré encore moins bien que la saison dernière » qui était déjà, selon lui, « la pire depuis des décennies. »
On peut donc s’étonner du courage et de la vivacité de tous ces artistes comédiens qui sont chaque soir sur scène pour une bouchée de pain, exerçant leur métier avec exigence et passion en acceptant la quasi gratuité de leur travail. Heureusement que dans notre société il existe encore des gens qui se battent pour la création artistique, par conviction, sans préoccupations mercantiles. Sans eux, il ne vous resterait que votre poste de télévision et la télé-réalité pour vous émouvoir…Le monde serait bien triste.