En alliant projet ambitieux et proposition concrète, Benoît Hamon renoue avec les pères fondateurs de l’Europe. Voilà plus de vingt-cinq ans que la France fait pâle figure dans le débat européen. Depuis le petit «oui» à Maastricht en 1992, les principales formations politiques ont cessé d’être audacieuses en matière de politique européenne, tandis que les extrêmes ont placé la critique de l’UE au cœur de leur rhétorique.
C’est ainsi que se sont écoulés quatre mandats présidentiels sans que la France soit porteuse d’un projet ambitieux pour notre continent. Dès lors, l’Allemagne s’est retrouvée en quelque sorte orpheline de son principal partenaire, mis aux abonnés absents. Prenant acte de la frilosité française, c’est seuls que les Allemands ont proposé à plusieurs reprises une vision ambitieuse de l’avenir de l’Europe, notamment en 2000 par la voix de leur ministre des Affaires étrangères Joschka Fischer.
Nombreux sont ceux, en France, qui critiquent une «Europe allemande» au sein de laquelle notre voisin imposerait unilatéralement ses règles. Tout d’abord, ceci n’est pas totalement vrai. Si l’Allemagne a été le chef de file des «austéritaires» depuis 2010, elle n’est pas la seule sur cette ligne, qui est également celle de la Finlande, de l’Autriche ou des Etats baltes.
Par ailleurs, les décisions de quantitative easing prises par la BCE l’ont souvent été contre le vote du gouverneur allemand et en dépit de l’avis d’une grande partie de l’opinion publique outre-Rhin. Surtout, si l’Allemagne a vu son leadership s’accroître ces dernières décennies, c’est en grande partie en raison de l’effacement français.
La France avait toujours été une force de proposition, seule d’abord, puis aux côtés des Allemands ensuite, contribuant ainsi largement aux grandes avancées de l’intégration européenne comme la création du SME, l’élection du parlement européen au suffrage universel direct, Schengen ou le traité de Maastricht. Elle a cessé de l’être et l’Allemagne a occupé l’espace vacant, non sans réticence d’ailleurs, tant elle répugne à exercer seule ce leadership.
Aujourd’hui, un candidat ose enfin avancer des propositions audacieuses sur l’Europe. Non pas un simple replâtrage, quelques améliorations cosmétiques, mais une refondation. Et c’est tant mieux, car la maison brûle ! Entre la crise de la dette, la crise sociale, la crise migratoire, la poussée des europhobes, le Brexit et la désaffection croissante des citoyens, même europhiles, l’UE est menacée.
Il est urgent de la repenser, de la relancer, pour répondre aux attentes des populations et pour faire face aux menaces qui pèsent sur elle. Dans ce contexte, la France se doit de reprendre son bâton de pèlerin, aux côtés de nos partenaires allemands et de tous ceux qui souhaitent donner un nouveau souffle au projet européen. C’est ce que propose Benoît Hamon. En mettant sur la table un projet de démocratisation de la zone euro qui permettrait de sortir des petits arrangements entre amis (ou entre ennemis !) que sont les réunions de l’Eurogroupe, il trace un nouvel horizon: celui d’une eurozone dotée d’une assemblée légitime démocratiquement, composée de députés des Parlements nationaux et de parlementaires européens.
Les décisions de cette assemblée seraient prises de manière transparente, contrairement à celles du huis clos des réunions entre ministres ou chefs de gouvernement. Une zone euro plus démocratique donc. Mais pas seulement ! Une zone euro dont l’assemblée disposerait de la prérogative de voter un impôt harmonisé sur les sociétés, mettant ainsi un terme à la concurrence fiscale à laquelle se livrent depuis des années les Etats européens au détriment de leurs finances publiques et des contribuables.
Dans une période où la lutte contre les déficits publics et la dette pèse durement sur les citoyens à travers les restrictions budgétaires et les augmentations d’impôts, cela permettrait de répondre à leur attente légitime d’une juste contribution des grandes entreprises à la restauration de finances publiques saines et de lutter contre les tactiques d’optimisation fiscale des grands groupes qui heurtent les populations et contribuent à les pousser dans les bras des populismes.
En outre, sa proposition constitue une étape supranationale inédite depuis des décennies car il s’agit non seulement de transférer une partie de la souveraineté fiscale au niveau européen, mais aussi de la transférer non pas à un eurogroupe intergouvernemental mais à une assemblée supranationale. Cette assemblée, composée largement de députés nationaux, ne nierait pas les intérêts des Etats membres, mais elle tendrait inévitablement vers une organisation plus politique que nationale par la recherche de majorités d’idées.
Et tel est d’ailleurs bien l’objectif affiché: sortir des confrontations entre Etats pour forger des majorités transnationales. Aucun président français n’a jamais porté un tel projet, pas même Valéry Giscard d’Estaing ou François Mitterrand, pourtant les plus europhiles de nos présidents !
Alors on entend déjà les critiques en utopie qui se multiplient ! Mais ce projet n’est pas utopique, il est ambitieux! L’ambition a tellement déserté le débat européen en France ces dernières décennies que toute audace apparaît automatiquement comme un rêve impossible! Un rêve, sans doute un peu, et heureusement car le projet européen a toujours comporté une part de rêve, c’est même ainsi qu’il a pu naître et il est en train de mourir à force d’en manquer ! Mais ce projet est aussi concret, fondé sur une proposition de traité, qui n’est pas considéré par ses promoteurs comme définitif mais comme une base de travail.
Ainsi, Benoît Hamon arrive avec une ambition forte, certes, mais une ambition soutenue par un texte juridique sérieux, susceptible de servir de point de départ à une négociation avec nos partenaires de la zone euro. Il renoue en ce sens avec la méthode des pères fondateurs qui avaient compris que le rêve, seul, ne fonctionne pas, mais aussi que le consensus mou amène à l’inefficacité, comme l’explique très bien Jean Monnet dans ses Mémoires à propos des organisations européennes intergouvernementales créées à la fin des années 40.
La déclaration Schuman de 1950 était audacieuse, tant la réconciliation avec l’Allemagne au sein d’une entité supranationale paraissait alors à beaucoup incongrue, voire dangereuse; elle était aussi très concrète, mettant sur la table un projet précis et détaillé. C’est exactement ce qui caractérise le projet de Benoît Hamon aujourd’hui: de l’audace et du concret pour une refondation de l’Europe avant qu’il ne soit trop tard !
Martin Schulz ne s’y est pas trompé en soutenant mardi sans ambiguïté le candidat Hamon, alors même que la chancelière, bien sûr rétive sur sa volonté de «mettre l’austérité en minorité», s’est montrée néanmoins intéressée par ses propositions. Le moteur franco-allemand pourrait ainsi renaître, au plus grand profit d’une Europe qui a impérieusement besoin de renouveau.