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Béatrice Huret, nouvelle flamme

La vie et les convictions politiques de cette militante FN ont basculé lorsqu’elle est tombée amoureuse d’un migrant de la «jungle» de Calais.
 
Sa berline noire s’immobilise devant la gare TGV de Calais pour nous récupérer. Passant outre l’interdiction qui lui est faite depuis le 20 août 2016 par un juge d’instruction de Boulogne-sur-Mer de se rendre dans la sous-préfecture du Pas-de-Calais jusqu’à son procès. Il l’a mise en examen pour «aide à la circulation et au séjour irrégulier d’un étranger en France en bande organisée». On l’avait pourtant prévenue par texto que des gendarmes et des policiers étaient sur place. Et deux migrants venaient de se faire embarquer à leur sortie du train en provenance de Paris. Sa réponse : «Tant pis, je suis en route. J’aime le risque.» L’histoire de Béatrice Huret, longue chevelure noire, est d’un romantisme irréel. Avant, sûrement, d’être adapté au cinéma, le récit de la quadragénaire espiègle vient d’être couché sur papier par l’écrivaine Catherine Siguret dans Calais mon amour, ouvrage d’une rare humanité : «J’ai vécu avec elle pendant quinze jours, explique l’auteure. Et rencontré sa famille et ses amis. Depuis qu’on a fini le livre, on se parle tous les jours.» Et l’histoire est authentiquement romanesque. Qu’on en juge : Béatrice Huret, ancienne aide-soignante qui s’est reconvertie dans la formation pour adultes d’aide à la personne, veuve d’un policier qui a travaillé à la Police aux frontières, vit depuis le décès de son époux pour cause de maladie à vingt kilomètres de Calais avec sa mère et son fils, Florian, bientôt majeur. Elle s’est encartée au FN en 1995. «J’étais payée pour mettre des tracts dans les boîtes aux lettres. A l’inverse de mon mari, je n’étais pas vraiment raciste, mais franchement inquiète de tous ces étrangers, si différents, qui déferlaient en France.» Son père, éleveur de faisans, et sa mère, cantinière, n’ont eux jamais voté FN.
 
En février 2015, elle, qui ne prenait jamais d’auto-stoppeurs, fait une exception au retour du travail et s’arrête pour embarquer un adolescent migrant qui lui demande de le conduire dans la jungle. Elle y découvre «un monde inconnu», «sept hectares de misère mais aussi de vie», pourtant à sa porte. «Avant, je plaignais ces pauvres gens, de loin, en lisant les journaux, en me demandant ce qu’ils venaient faire chez nous.» Son passé avec son mari défunt lui semble appartenir à une autre vie. «On s’est rencontrés en boîte quand j’avais 20 ans. Lui en avait 37. Je ne suis pas sortie de chez moi pendant dix-huit ans. On regardait la télé, il recevait ses collègues policiers pour boire des coups. Notre maison, je l’appelais "licence IV". Moi, je faisais à manger. J’ai utilisé pour la première fois un ordinateur en 2009. Je n’avais pas vraiment de vie, dit-elle sans acrimonie ni aigreur. C’était juste comme ça.»
 
Elle se demande encore comment elle, la «grande gueule», a pu se montrer aussi «docile». Désormais, elle passe son temps libre à recevoir des amis pour des barbecues et des karaokés. Depuis sa prime venue dans la «jungle», ces étrangers, vivant dans la détresse et le dénuement, portent désormais des visages et l’émeuvent. Dès lors, elle revient régulièrement leur apporter de la nourriture, des vêtements, des couvertures… Elle y emmène des membres de sa famille, et des amis. «Dès que les migrants n’étaient plus un mot, une abstraction, ils ne faisaient plus peur. Malheureusement, je n’ai pas pu emmener tout le monde, ce qui explique sans doute le résultat de Marine Le Pen !» raconte-t-elle dans son ouvrage.
 
En février 2016, elle rencontre pour la première fois Mokhtar, Iranien chrétien de 34 ans, qui était professeur de persan dans son pays et est arrivé en France à l’automne 2015. Elle dit : «Le jour où la vie bascule, rien n’annonce jamais une journée particulière. Avec Mokhtar, nos yeux se sont croisés tout de suite. J’ai eu un flash, la véritable impression d’un coup de foudre. Ce qui m’a aimanté, c’est la douceur de son regard.» Communiquer est compliqué : le migrant iranien s’est cousu la bouche pour dénoncer leurs conditions de vie dans la jungle, comme les détenus politiques et les individus harcelés par les ayatollahs le font dans leur pays. Une fois les fils ôtés, le dialogue est toujours difficile. «Mon anglais était on ne peut plus limité, avoue-t-elle avec un sourire. "Hello", "thank you", "good luck"… C’était à peu près tout ! Maintenant, ça va un peu mieux.» Ils apprennent à échanger via une application de traduction que l’Iranien a installée sur le smartphone de Béatrice. Ses amis la jugent «inconsciente», et lui demandent d’«arrêter son cirque». Elle n’en fait rien. Elle n’a plus que Mokhtar en tête. «Je pensais ne jamais refaire ma vie», avoue-t-elle.
 
Un soir, hébergé chez elle, il l’embrasse : un «baiser électrique». «On s’est dit "je t’aime" lors de notre première nuit ensemble.» Malgré leur histoire naissante, Béatrice sait que son amoureux ne veut pas renoncer à rejoindre l’Angleterre. Il a déjà plusieurs tentatives de traversée dans des camions à son actif. La décision est prise de changer de tactique : Mokhtar achète un bateau pour traverser la Manche avec deux compatriotes. Le 11 juin 2016, aidé de Béatrice qui a tracté l’embarcation avec son bolide, le trio prend la mer à 4 heures du matin. En fin d’après-midi, en difficulté dans leur coque de noix, les trois Iraniens sont secourus par des gardes-côtes anglais. Le passage est réussi. Vendredi 17 juin. Béatrice part rejoindre Mokhtar à Wakefield en voiture, via le ferry, après sa journée de travail. C’est là qu’il est hébergé depuis son arrivée en Angleterre. Depuis lors, elle retrouve son amoureux un week-end sur deux à Sheffield, où il réside désormais. Tous les jours et toutes les nuits, ils échangent par webcam. Parfois jusqu’à 3 heures du matin. A 5 h 45, son réveil sonne pour aller travailler. «Dans le meilleur des cas, je dors quatre heures chaque nuit.» Mais son anglais progresse. Happy end ? Pas totalement.
 
Le 18 août 2016, des policiers arrêtent la formatrice sur son lieu de travail. Et la placent en garde à vue dans le commissariat où avait travaillé un temps son mari défunt pour «aide au passage illégal en bande organisée». Une fois libérée, elle est placée sous contrôle judiciaire, et doit, une fois par semaine, se présenter à la gendarmerie proche de son domicile. «C’est sûrement pour s’assurer que je ne suis pas en Syrie», plaisante-t-elle en s’excusant de son «humour à la con». Elle est également fichée «S», «car Mokhtar doit être un terroriste, je ne vois que ça, et moi je dois représenter un danger pour l’Etat». En 2012, elle a voté pour Sarkozy. Au premier tour de cette présidentielle, elle a glissé le bulletin Mélenchon. Dimanche, ce sera Macron. «Evidemment, pour faire barrage à Le Pen.» Envisage-t-elle de vivre avec Mokhtar en France s’il peut obtenir des papiers ? «Nous n’avons pas de projets. Quand on en fait, et qu’ils n’aboutissent pas, cela fait mal.» Et d’assurer : «Je lui dois ma plus belle histoire d’amour. C’est déjà beaucoup. Si cela doit s’arrêter, ça s’arrêtera. Mais je suis sûre d’une chose : je n’en vivrai pas d’autre.»
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