C’est la dernière en date. L’outrance de trop. Le 7 mai, vers midi, La Voix Du Nord rapporte sur son site Internet qu’il y avait moitié moins de journalistes pour couvrir le vote de Marine Le Pen au second tour qu’au premier. Un pur et simple constat sans commentaire. Sauf que s’ensuit un mail de Bruno Bilde, adjoint héninois, adressé à l’auteure de l’article : « Si les journalistes de la Voix du Nord faisaient leur métier (ce qui est beaucoup leur demandé) (sic) (…) ils pourraient expliquer que nous avons exigés (sic) un pool pour les médias étrangers contrairement au premier tour. » Notre collègue, perplexe : « Pourquoi ? Il fallait aussi une accréditation pour rester sur le trottoir ? Allons… » C’est là que Bruno Bilde cingle d’un élégant : « Sur le trottoir ? Vous parlez en experte ! » Il faut avoir la santé et les nerfs bien accrochés pour travailler à La Voix Du Nord Hénin. « J’ai été un peu sonnée, et même étonnée. Je me suis dit que là il allait vraiment loin, dans l’insulte. » En même temps pas une première pour le conseiller spécial de Marine Le Pen : l’équipe se souvient de son doigt d’honneur adressé à une autre collègue le jour de la Sainte-Barbe 2015. On raconte cette rencontre fortuite au restaurant, « hors boulot », l’année dernière : « Bruno Bilde nous a pris en photo avec son téléphone avant de nous dire : « Bye bye les bébés socialos » », raconte Christophe Le Couteux. Le « pacte », la « collusion », les « rencontres secrètes » avec l’opposition, c’est l’un des angles d’attaques complotistes du journal de la ville dont Bruno Bilde est directeur de la publication. Il est très régulièrement question de La Voix du Nord Hénin dans ce mensuel payé avec les impôts des Héninois.
En février 2016, il lui est même consacré la « Une » et quatre pages dont un article délicatement titré : « Pascal Wallart, l’anti-Charlie ». Le chef d’édition est la cible préférée de Bruno Bilde, de « La Voie d’Hénin », page Facebook proche de la municipalité qui vise à « réinformer ». Et du maire Steeve Briois lui-même.
Mais aucun journaliste n’est épargné. « Il faut être en forme et bien dans sa vie », confie Isabelle Conynck. « Quand tu vas à un conseil municipal, tu n’y vas pas de gaieté de cœur, tu sais que tu vas être pris à partie », poursuit Céline Debette, rebaptisée Céline Bébette (niveau maternelle deuxième année). Elle qui s’est retrouvée au centre d’une vidéo publiée sur « La Voie d’Hénin » où on la voit discuter avec l’opposition, discussion qui se serait naturellement poursuivie lors d’« une soirée privée », d’une « sauterie » à La Voix Du Nord. Pur mensonge. Tendance abject. L’enquête retentissante de La Voix Du Nord avant les régionales publiée en novembre 2015 a certes rompu définitivement les liens avec la municipalité, « mais déjà quand ils étaient dans l’opposition, au temps des blogs je me souviens d’infamies. Ça date de là, le fameux « Pascal Wallart est au journalisme ce que la pornographie est à l’amour » », raconte Anna Morello. Et puis il y a le quotidien : « On n’est informé de rien, invité à rien », développe Christophe Le Couteux. « Impossible d’avoir un adjoint ou un technicien sur un sujet. Même les réunions de quartier nous sont interdites au motif qu’elles sont réservées aux habitants du quartier. Ils ont inventé le concept de réunion publique privée. »
Un refus de répondre quasi systématique mais qui s’accompagne de droits de réponse tout aussi systématiques (36 en un an et demi) et d’injonctions stupéfiantes à justifier le moindre choix éditorial : pourquoi couvrir ça et pas ça, comme si et pas comme cela ? « Ce qu’ils veulent, c’est nous intimider, casser le lien de confiance que l’on a avec la population et nous assécher pour que les habitants soient obligés de passer par leurs canaux de communication. »
La Voix de Jean-Michel Bretonnier, rédacteur en chef :
"J’ai travaillé il y a presque quarante ans dans un bassin encore (un peu) minier. C’était déjà la fin du charbon, mais cette société était toujours structurée par des partis, des syndicats, des associations. Plus d’un siècle de mine avait forgé une culture du travail et de la solidarité.
Je connais cette population et je ne me permets pas de la juger. Je fais la différence entre les électeurs du Front national et ses dirigeants. C’est la fin du charbon et du textile qui a dévasté ce territoire, désespérant les générations d’après et créant les conditions d’un vote populiste.
Notre métier consiste à publier des informations ou des commentaires qui parfois déplaisent, et il n’est pas rare que des élus nous le reprochent ; mais ce que subissent nos journalistes à Hénin-Beaumont est sans équivalent.
Les pratiques du maire Front national et de ses adjoints proches constituent une entrave au droit d’informer. Le refus systématique de répondre à nos questions et l’avalanche de droits de réponse veulent nous priver d’informations et nous dissuader de publier celles auxquelles nous accédons néanmoins. Les SMS agressifs, les propos insultants, les attaques personnelles, ont pour objectif de tenter d’humilier nos journalistes devant la population et de les intimider.
Avec courage et sang-froid, au nom de leur métier et de leur journal, grâce au soutien d’Héninois, ils tiennent bon. Je veux leur rendre hommage.
On avait cru comprendre que le Front national consentait des efforts de dédiabolisation ces dernières années. À Hénin-Beaumont, son rapport à la vérité et sa conception de la liberté de la presse ont réveillé le diable !"