Céline Braconnier, spécialiste de l’abstention, répond aux questions de « 20 Minutes »…
Démobilisés. 47 millions d’électeurs français étaient appelés aux urnes ce dimanche. Plus de la moitié ne s’est pas déplacée. L’abstention au second tour des élections législatives dimanche atteindraient 57 % à 58 %, un record sous la Ve République. Le chiffre est nettement plus élevé qu’au premier tour (51,29 % des inscrits), selon des estimations des instituts de sondage. 20 Minutes a interrogé Céline Braconnier, directrice de Sciences Po Saint-Germain-en-Laye et co-auteur de La démocratie de l’abstention (Gallimard).
L’abstention est plus élevée qu’au premier tour. Est-ce une surprise ?
Au cours des trois dernières élections législatives, le taux d’abstention a été plus fort au second tour, mais l’ampleur était moins grande que ce dimanche. Cette fois, il y a six points de participation en moins au second tour. C’est un record d’abstention historique, et de très loin. Les législatives françaises ne mobilisent pas plus que des élections européennes, puisqu’en 2014, on était sur des chiffres sembables avec 57.6 %. Si on ajoute à ces 57-58 % de non-votants, les 11 % qui ne sont pas inscrits sur les listes électorales, on arrive à un niveau qui n’a jamais été atteint dans l’histoire politique française.
Peut-on expliquer cette désaffection ?
De multiples facteurs contribuent à expliquer ce chiffre. Des facteurs sociologiques et politiques. Beaucoup d’électeurs ont pu être découragés par le fait que les résultats de l’élection, la vague Macron, ont été annoncés avant même que le scrutin n’ait lieu. Cela a pu vider de son sens le scrutin. Ensuite, il n’y a pas eu de campagne électorale d’assez forte intensité pour mobiliser les électeurs peu politisés. D’ailleurs, dans tous les scrutins, hormis la présidentielle, l’abstention progresse nettement. Cela veut dire qu’il y a une difficulté à faire venir les citoyens aux urnes en dehors de cette campagne très médiatisée et personnalisée. Beaucoup ont l’intuition que tout se joue à la présidentielle, et qu’il n’y a plus vraiment d’enjeux. Cette difficulté d’appréhender le rôle politique du Parlement est un problème et pose la question de la formation politique des Français.
Sait-on qui sont les abstentionnistes ?
Il y a la moitié en gros, 48-50 % des électeurs, qui votent systématiquement, à toutes les élections. 10 % des gens ne votent jamais. Ce qu’on remarque, c’est que les personnes dans l’entre-deux participent de moins en moins.
Les premiers à s’abstenir sont les jeunes, les 18-30 ans. Dimanche dernier, ils étaient 64 %, c’est-à-dire bien au-dessus de la moyenne nationale (51.29 %). Une partie de la jeunesse ne se déplace pas car elle ne va pas voter. Les personnes âgées, même si elles ne croient plus en la politique le font par devoir. A ce clivage générationnel s’ajoute une dimension sociale car les quartiers populaires s’abstiennent également davantage.
Bien sûr, ceux qui se sont déplacés décident, mais au final les députés sont élus par une toute petite base électorale. On aura une Assemblée nationale élue par des gens plus âgés, plus diplômés, et plus riches que la moyenne. Ce record d’abstention pose souci à notre démocratie.