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Trois économistes du FMI dénoncent l'échec du néolibéralisme

Dans un article publié en juin 2016 dans la revue Finance & Development, trois grands économistes du FMI – qu’on ne rangerait sans doute pas dans la case « gauchos » – dénoncent les échecs du néolibéralisme qui a conduit à un creusement des inégalités sociales et dont la logique économique s’est avérée largement inefficace. Ces échecs doivent conduire les dirigeants politiques comme les grandes instances financières à réinventer le modèle économique néolibéral, sans quoi ce dernier vivrait ces ultimes moments d’agonie.
 
Le néolibéralisme, tel qu’on l’entend aujourd’hui, est largement hérité des mesures d’inspiration libérale établies par les institutions financières siégeant à Washington (la Banque mondiale et le FMI) qui ont été réunies et théorisées sous la forme de principes par l’économiste John Williamson en 1989. Avec les propositions du Consensus de Washington, le néolibéralisme avait trouvé ses Dix Commandements.
 
D’après les auteurs de l’article – Jonathan Ostry, directeur adjoint du département de la recherche du FMI, Prakash Loungani, conseiller du FMI et Davide Furceri, économiste du FMI – on pourrait plus simplement définir l’essence du néolibéralisme par deux propositions plus générales, à savoir :
 
– « Une volonté politique d’accroître la compétition par la dérégulation et l’ouverture des marchés domestiques, incluant les marchés financiers, à la compétition étrangère »
 
– « Une volonté politique de réduire le rôle de l’Etat par la privatisation et les limitations sur la possibilité d’un Etat à afficher des déficits fiscaux ou à accumuler de la dette publique. »
 
L’objectif – sans doute noble – que poursuivait les défenseurs du néolibéralisme à ses origines était alors de défendre la liberté des individus et l’efficacité économique contre l’ingérence étatique en promouvant l’autorégulation du marché. De façon moins conventionnelle, disons que l’essor du néolibéralisme dans les années 70 a conduit à retirer le pouvoir économique des mains de l’Etat pour le donner tout entier au marché oligopolistique.
 
Or, parmi les plus grands représentants du néolibéralisme, il est courant de compter le FMI qui, en plus d’être à l’origine des principes du Consensus de Washington, applique depuis de nombreuses années des politiques budgétaires reposant sur l’ouverture des pays aux flux de capitaux et l’austérité pour les pays surendettés. Il y a de quoi être surpris donc lorsqu’on tombe sur un article signé de la plume de trois acteurs de premier plan au FMI qui dénoncent l’efficacité économique et le danger social du néolibéralisme.
 
Dans un premier temps les auteurs montrent que l’« agenda néolibéral » s’est étendu à presque toute la planète en à peine trente ans. Désormais on classe les pays en fonction de leur compétitivité, du montant de leur dette ou de leur PIB. L’indice de compétition, mesurant le degré d’ouverture d’un pays à la compétition extérieure, permet d’ailleurs de rendre compte de ce phénomène : entre 1982 et 2002, celui-ci est passé de 0,25 à 0,6 (sur une échelle de 0 à 1) à l’échelle mondiale, ce qui signifie que globalement nous sommes 2,4 fois plus compétitifs qu’il y a 20 ans.
 
Très bien direz-vous, plus on est de fous plus on rit ! Mais ce que montrent les trois économistes, c’est que le néolibéralisme n’a tenu aucune de ces promesses, que ce soit au niveau social ou économique.
 
D’abord, la fluidification de la circulation des flux de capitaux a conduit à une augmentation des risques dans les pays concernés, plus soumis aux risques de crise financière. Les auteurs indiquent : « Depuis 1980, il y a eu plus de 150 crises financières dans 50 pays aux économies émergentes. Et dans 20 % des cas, cela s’est traduit par un net déclin économique. »
 
Prenons le cas paradigmatique (non traité dans l’article) de l’Argentine qui, pour éviter un phénomène d’inflation – l’un des commandements sacrés du Consensus de Washington – a décidé en 1991 de caler le cours de sa monnaie sur le dollar. Ne disposant pas d’un marché bancaire très développée, l’Argentine s’est retrouvée complètement dépendante des fluctuations du marché et donc fragilisée. Ainsi, quand à la fin des années 90, la monnaie brésilienne est brusquement dévaluée, l’Argentine rentre dans une phase de sévère déflation et connaissant une crise économique galopante.
 
« Depuis 1980, il y a eu plus de 150 crises financières dans 50 pays aux économies émergentes. Et dans 20 % des cas, cela s’est traduit par un net déclin économique. »
 
Or les auteurs de l’article soulignent que la circulation libre des capitaux dans un pays conduit à un accroissement des inégalités au sein de la population : « En période de crise économique, les inégalités, mesurées par l’indice de Gini, progressent alors d’en moyenne 2,5 points de pourcentage en l’espace de deux ans et d’en moyenne 3,5 points de pourcentage en l’espace de cinq ans ». La réponse immédiate d’un néolibéral serait alors d’appliquer sans même se poser de question une politique d’austérité budgétaire : c’est-à-dire réduire les dépenses publiques pour permettre de combler le déficit public et rembourser partiellement la dette.
 
Or à nouveau les économistes du FMI constatent que « les coûts consécutifs à une politique d’austérité sont en général nettement supérieurs aux bénéfices que celle-ci peut présenter. » En effet, en appliquant des politiques d’austérité, on modifie le comportement économique des différents acteurs qui diminuent leur consommation et l’investissement ; et on rentre alors dans une véritable spirale infernale. « C’est bien simple, pour toute progression de 1 % du produit intérieur brut (PIB) on assiste dès lors à une hausse d’en moyenne 0,6 point de pourcentage du taux de chômage de longue durée, et à cela s’ajoute une augmentation d’en moyenne 1,5 point de pourcentage de l’indice de Gini des inégalités de revenus sur cinq ans ».
 
Pour reprendre l’exemple de l’Argentine, il suffit de remarquer que les sept politiques d’austérité imposées par le FMI entre 1998 et 2001 ont été un véritable échec qui n’a conduit qu’à la paupérisation de la population et l’accroissement constant du montant de la dette. Le but était de couper dans les dépenses de l’Etat pour racheter les banques qui menaçaient de s’effondrer. Mais le constat parle de lui-même : en 2002, l’Etat a contracté une dette de 140 milliards de dollars, le taux de pauvreté a atteint 57 % et le taux de chômage 23 %.
 
De ce constat, les économistes appellent à ce que les politiciens et les grandes institutions (le FMI en première ligne) arrêtent de faire reposer leurs politiques économiques néolibérales sur un seul acte de foi et commencent à s’intéresser aux faits, dont ils dressent le bilan. Si les auteurs ne font que critiquer une réalité qui est dénoncée depuis bien longtemps par d’autres économistes, la valeur symbolique de cet article est forte : il signe un renouvellement des idées au sein même du chantre du néolibéralisme qui a la fâcheuse tendance à brandir ses tables de la Loi aux pays du monde entier. Certains ont pu dire que cet article annonçait la « mort du libéralisme », nous parlerons plus volontiers de son ultime onction, comme un dernier appel à reconsidérer ses fautes comme ses succès avant de s’élever vers une sphère supérieure d’existence.
 
Rappelons pour finir ces quelques mots de Pierre Bourdieu qui disait dans un article du Monde Diplomatique : « Le fondement ultime de tout cet ordre économique placé sous le signe de la liberté, est en effet, la violence structurale du chômage, de la précarité et de la menace du licenciement qu’elle implique : la condition du fonctionnement « harmonieux » du modèle micro-économique individualiste est un phénomène de masse, l’existence de l’armée de réserve des chômeurs. »
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