Selon les propos de deux témoins dans l'émission "Envoyé spécial", des élus de droite (UMP, RPR…) ont détourné des fonds publics pendant 12 ans.
En 2014, la justice ouvrait une enquête sur de possibles malversations financières au Sénat depuis 2002. En novembre 2016, deux personnes ont été mises en examen pour détournement de fonds : Michel Talgorn, ancien inspecteur des impôts travaillant au Sénat depuis 1982 où il a été en charge des comptes financiers du groupe UMP, et François Thual, spécialiste de géopolitique en charge des questions financières et ancien conseiller du président du Sénat Gérard Larcher (LR). Ces deux hommes ont témoigné dans l'émission Envoyé spécial , diffusée jeudi soir sur France 2, et dans laquelle ils affirment que 117 sénateurs ou anciens sénateurs de droite auraient détourné, entre 2002 et 2014, près de huit millions d'euros des caisses de l'État. En mars 2017, un article de Mediapart avait été publié sur le sujet.
Les deux hommes racontent comment un complexe montage financier a été élaboré afin de masquer ces malversations. « J'ai été amené à rédiger des chèques, une dizaine de milliers de chèques, 10 000 à 12 000, ça va très vite, compte tenu des effectifs », raconte Michel Talgorn. « Je les rédigeais, mais je ne les signais pas, je les faisais signer (au président du groupe ou au trésorier, NDLR) et ensuite je les faisais expédier ou les remettais en personne », poursuit-il. C'est ainsi qu'à chaque fin de trimestre depuis 2002, l'ancien inspecteur des impôts a distribué de l'argent public en toute discrétion, des chèques appelés, en interne, « les chocolats du Sénat ».
La mise en place de ce système remonterait à la création de l'UMP en 2002, après la victoire de Jacques Chirac à l'élection présidentielle face à Jean-Marie Le Pen. Malgré l'unité, les gaullistes, les républicains, les centristes... tous voulaient garder leur propre financement d'argent public attribué dans le cadre de la loi par le ministère de l'Intérieur. François Thual raconte à Envoyé spécial que c'est à cette époque que plusieurs sénateurs l'auraient contacté afin qu'il imagine un montage financier. « Il y a eu une série de conversations, on s'est dit qu'il faudrait sauvegarder les crédits (du ministère), alors on n'a qu'à créer une association », explique-t-il. Association dont il a été chargé de rédiger les statuts. L'Union républicaine du Sénat (URS) était née, officiellement lieu de réflexion et de débat politique au sein du palais du Luxembourg.
Envoyé spécial révèle que cette association était en réalité au cœur du schéma financier et aurait servi à détourner l'argent normalement attribué aux assistants parlementaires des sénateurs. Outre les 7 200 euros mensuels de salaire, un sénateur français bénéficie de l'indemnité représentative de frais de mandat (IRFM) d'un montant de 6 000 euros, et d'une ligne de crédit de 7 600 euros destinée à rémunérer des assistants parlementaires. Mais, selon Michel Talgorn, beaucoup de sénateurs à l'époque considéraient qu'ils n'avaient pas « besoin de recruter trois ou cinq assistants ». Aussi, affirme-t-il, certains auraient alors opté pour qu'une partie de ces 7 600 euros leur soit reversée via l'URS.
Selon Envoyé spécial, les documents de comptabilité de l'association qui leur ont été fournis mettent en avant plusieurs noms, dont celui de l'ex-sénateur maire de Toulon Hubert Falco, qui aurait reçu plus de 8 000 euros chaque trimestre entre 2012 et 2013. « J'ai le souvenir d'avoir remis, effectivement (...) à M. Falco ses quatre chèques annuels. » Contacté par Var Matin à la suite du reportage, l'ancien sénateur n'a pas donné suite. Parmi les autres sénateurs qui auraient reçu de l'argent selon ces documents : Jean-Claude Gaudin, sénateur maire de Marseille, qui aurait perçu 5 000 euros par trimestre pendant quatre ans. Confronté par les journalistes de l'émission, le vice-président du Sénat a répondu que l'institution « s'est toujours très bien comportée et sous l'autorité du président Larcher, tout a toujours été clair et transparent ». Assurant même qu'il avait été l'un de ceux à avoir mis fin au système en 2014.
Michel Talgorn affirme par ailleurs que François Fillon aurait bénéficié des « chocolats du Sénat » avant de devenir Premier ministre en 2007. « J'ai des crédits d'assistants que je n'utilise pas, il paraît qu'on peut en recevoir une partie », aurait-il déclaré à l'ancien inspecteur des impôts. Ce dernier l'a informé de l'existence de l'URS et du mécanisme en place. François Thual affirme toutefois que l'élu de la Sarthe n'a pas bénéficié très longtemps du système. Selon les informations d'Envoyé spécial, François Fillon aurait reçu en 18 mois un total de 21 000 euros.
En mars 2017, Mediapart faisait également mention dans un de ses articles d'un système de « ristournes » ayant permis à plusieurs sénateurs dont Bruno Retailleau de détourner de l'argent. Le président du groupe LR au Sénat est également cité dans l'enquête menée par l'émission. Henri de Raincourt, sénateur de l'Yonne de 1986 à 2009 puis de 2012 jusquà 2017, ferait également partie de la liste des bénéficiaires. Selon les journalistes de l'émission de France 2, il est également le président de l'URS, association par ailleurs domiciliée chez lui à Saint-Valérien.