Mercredi matin, Bernard Tapie a cédé 35% du capital de Corse-Presse, qui édite le quotidien Corse-Matin, pour un montant de 3,15 millions d’euros, comme le révèle le JDD. Les acheteurs? CM Holding, un consortium de 140 sociétés de l’île, dirigé par une quinzaine d’entrepreneurs très influents, avec lesquels l’ancien ministre était entré en discussion à l’automne 2017. "Le moment est historique, confie Bernard Tapie. L’arrivée au pouvoir la même année d’Emmanuel Macron à l’Élysée et de Gilles Simeoni en Corse ouvre la voie à un nouveau dialogue. Corse-Matin y prendra sa part. Le journal a vocation, associé aux habitants, à aplanir les difficultés s’il y en a. Ainsi, il m’est apparu essentiel que des entrepreneurs corses de haut niveau, qui vivent pleinement l’île et connaissent sa réalité, participent à son développement."
"Avec Bernard, nous avons peu parlé argent", complète François Padrona, le président de CM Holding, qui insiste lui aussi sur "l'émergence de ces deux hommes politiques", qu'il veut rapprocher : "Nous avons surtout discuté du développement et de la mission citoyenne de Corse-Matin ; parler de l'île autrement, la faire vivre et défendre les institutions locales."
Car Bernard Tapie, condamné à rembourser à l'État 404 millions d'euros sur six ans dans l'affaire de l'arbitrage Adidas, va plus loin que la cession financière d'un tiers du capital. S'il reste actionnaire majoritaire du journal par l'intermédiaire du groupe La Provence, c'est bien un Corse, Antony Perrino, un des principaux promoteurs immobiliers de l'île, qui va devenir fin mars président du conseil d'administration du journal et donc en assurer la gestion. À 38 ans, ce natif d'Ajaccio veut aller vite. Dans les prochains jours, il nommera un binôme composé d'un directeur général et d'un directeur de la rédaction, "une personnalité locale du journalisme, très fédératrice", confie-t-il sans donner de nom.
Ses projets : une meilleure utilisation des rotatives du journal (en imprimant d'autres publications), la diversification avec la création d'événements locaux, le développement du numérique pour informer notamment les expatriés corses (plus d'un million) ou encore le lancement d'une nouvelle formule du journal "avant l'été" parce qu'il croit au papier. "Ce nouveau Corse- Matin s'inspirera de La Provence car nous allons continuer à travailler main dans la main", précise Jean- Christophe Serfati, le PDG du quotidien phocéen, qui continuera de siéger au CA de Corse-Matin même s'il en cède la présidence.
Tapie se dit "très fier de l'arrivée dans le capital du consortium qui a fait la preuve de son talent en créant la compagnie de ferries Corsica Linea, née de la reprise au tribunal de commerce de l'ex-SNCM". Pour Corse-Matin également, CM Holding mise sur la croissance. "On doit se prendre en main", précise François Padrona. Objectifs quantitatifs : maintenir la diffusion du journal autour de 32.000 exemplaires et augmenter les revenus sur le numérique notamment. En 2017, Corse-Matin a réduit ses pertes à 171.000 euros, et le budget 2018 prévoit 380.000 euros de bénéfice. "Nous allons appliquer les recettes de La Provence, qui gagne de l'argent depuis plusieurs années", lance Jean-Christophe Serfati.
Pour grandir, il est "hors de question de faire des coupes dans les effectifs", indique Antony Perrino, qui est allé à la rencontre de quelques-uns des 70 journalistes de la rédaction. Alors, comment le quotidien traitera-t-il des sujets liés à l'une des entreprises membres du consortium ? "En toute indépendance !", jurent en chœur Tapie, Padrona, Perrino et Serfati, les quatre hommes qui ont noué l'accord. "Je n'interviendrai pas sur le contenu, précise le nouveau président de Corse-Matin. Cela ne serait bon ni pour le journal, ni pour les entreprises locales, ni pour les lecteurs, ni pour la Corse." De même pour la publicité : "Cela ne changera rien dans la relation des sociétés du consortium avec la régie." En revanche, Bernard Tapie souhaite quelques changements de fond : "On n'occultera ni les mauvaises nouvelles ni les crises éventuelles, mais il faut encore développer l'info locale, la fierté du territoire, les choses positives. Il est dommage que les médias nationaux ne l'aient pas tous compris, mais la Corse des attentats et de la violence n'est plus d'actualité."
En déplacement à Bastia début février, le chef de l'État a livré sa vision pour "construire l'avenir de la Corse au sein de la République". Il a exprimé son souhait de voir "l'émancipation" et "l'accomplissement" de l'île tout en disant non au statut de résident et à la co-officialité de la langue. Parmi les avancées d'Emmanuel Macron vers les nationalistes : le développement du bilinguisme et la très symbolique inscription de la Corse (et de ses spécificités) dans la Constitution, dont les détails ne sont pas encore officiels.