David Hallyday, actuellement en tournée, nous accorde sa première interview depuis la mort de son père, Johnny. Ce discret parle de tout… sauf de Laeticia.
Trois Harley garées devant l’Espace des 2-Rives, comme un clin d’œil de Johnny à son fils. Vendredi soir, David Hallyday donne à Ambès, près de Bordeaux (Gironde), le deuxième concert d’une tournée de sept dates planifiée il y a un an pour présenter son dernier album, « le Temps d’une vie ». Un concert à guichets fermés.
Depuis la disparition de Johnny Hallyday, le 5 décembre dernier, c’est le deuxième concert de David, 51 ans. Si sa mère Sylvie Vartan, également sur scène vendredi, est montée au créneau pour défendre son fils et Laura Smet, les deux enfants aînés de Johnny absents de son testament, David Hallyday n’a parlé à aucun média.
C’est sur scène, porté par des fans à la ferveur décuplée par le soutien qu’ils veulent lui apporter, que le chanteur en dit le plus, en reprenant deux chansons de Johnny, « J’ai oublié de vivre » et « Sang pour sang », et en dévoilant une chanson acoustique inédite, « Ma dernière lettre », courrier imaginaire que son père lui adresserait.
Après ce concert intense, il nous reçoit dans sa loge. C’est sa première interview et il ne sert à rien d’aborder les questions d’héritage, il n’y répondra pas. Il préfère parler de son père par la musique. Pudique mais chaleureux, il nous invitera à partager le repas d’après-concert avec ses musiciens. Interview.
Quelles sont vos premières impressions après ce deuxième concert ?
DAVID HALLYDAY : C’était extrêmement chaleureux. J’aime bien aller dans des petites villes, à la rencontre des gens. Il y a un contact très fort. Quand je sors de scène, je sais pourquoi je fais ce métier. Avec l’âge, j’apprécie de plus en plus cet amour brut du public.
Cet amour semble décuplé aujourd’hui.
Oui c’est décuplé. Pour être franc, cette tournée que l’on avait planifiée il y a un an - après la sortie de mon dernier album « Le temps d’une vie » -, j’ai eu un peu de mal à y aller. Je ne veux pas décevoir les gens. Mais avec du recul, je suis très content d’y avoir été. Cela me libère de beaucoup de choses.
Vous chantez deux chansons de votre père…
Oui, c’est difficile de les finir. J’essaie de penser à quelque chose de drôle. Mon oncle (NDLR : le musicien Eddie Vartan) m’avait donné ce conseil : « Quand il y a trop d’émotion, imagine que toute la salle est nue ». C’est un très beau passage dans le concert, je crois…
Vous dites au public que vous ne pouviez pas monter sur scène sans lui rendre hommage…
Je ne voulais pas que ce soit un hommage, plutôt un clin d’oeil, discret. Parce qu’il est là, on sent sa présence. Déjà de son vivant il prenait une place énorme (il rit) et là il est avec nous, je le sens et le public aussi. C’est un moment magique, triste et en même temps nostalgique. C’est une grande émotion pour moi de chanter « Sang pour sang » et « J’ai oublié de vivre », que je n’avais jamais chanté. C’est l’une de mes chansons préférées de lui. Je l’ai toujours adorée. Et d’autant plus que c’est l’inverse de sa vraie vie. Car il n’a jamais oublié de vivre. Il a bien vécu je crois (il rit). Dans le contexte actuel, elle parle.
Pourquoi ne vous êtes-vous pas exprimé depuis sa disparition ?
Je ne communique pas énormément, comme vous pouvez le voir (il sourit). D’abord, quand on perd un proche, on souffre tous de la même façon. Je ne vois pas ce que je pourrai dire. Et puis mes sentiments, les choses importantes, je les fais passer dans ce que je sais faire de mieux, dans des chansons. Je ne fais pas ce métier par hasard. Je suis un artisan, je bosse généralement seul, sauf pour des titres un peu spéciaux, comme « Ma dernière lettre »…
Une chanson inédite dédiée à votre père…
Cette lettre imaginaire, dans laquelle mon père s’adresse à moi, tout le monde aurait pu l’écrire. Le fait qu’elle reste encore privée entre le public et moi, c’est bien. Les paroles d’Arno Santamaria sont remarquables. On l’a écrite assez rapidement, cette chanson, comme si on l’avait expulsée.
Sûrement. Quand j’ai commencé à composer des chansons, j’avais 6 ou 7 ans. Ma mère disait à mon père : « notre fils ne parle pas, je ne sais pas ce qu’on va faire de lui ». Je ne voulais jamais leur faire écouter ce que je faisais, ils disaient « mais il est trop secret », et puis ils ont compris que c’était juste ma façon de m’exprimer. La musique a toujours été mon moyen d’expression. Et je n’ai pas changé.
Vous avez commencé par la batterie…
À 4 ans, je comprenais le rythme, à 5 ans, j’étonnais mes parents avec ma première batterie. Je me suis mis au piano après pour composer, puis à la guitare. Nous habitions à Loconville (NDLR : dans l’Oise), la maison était souvent peuplée d’artistes. Il paraît que j’ai joué de la batterie à 4 heures du matin devant Jimi Hendrix. J’aurais tellement aimé être conscient de ça, mais j’étais trop petit.
Par contre vous n’avez pas oublié le Palais des Sports 1979. Vous avez 13 ans et vous faites une surprise à votre père en l’accompagnant à la batterie.
Comment oublier ce moment ? C’est mon premier contact avec un grand public et avec ce géant qu’était mon père, figure paternelle emblématique. À l’époque il y avait cette tradition sympa de faire une surprise au chanteur lors de la dernière date de sa tournée. C’était une idée de mon oncle. J’avais répété « Rien que huit jours » une ou deux fois dans ma chambre, où j’avais installé ma batterie. Sur scène, les toms (NDLR : les fûts de la batterie) étaient tellement hauts que je ne voyais pas le public, mais ça m’arrangeait bien. Cela a été ma première révélation avec le public et mon père m’avait introduit. Grand moment. Mais toutes les fois où je suis monté sur scène avec lui ont été intenses. On chantait toujours ensemble des chansons poignantes, qui avaient un sens, qui nous rapprochaient.
Vous avez souvent composé pour lui.
Oui. Le premier titre, c’était « Mirador ». Cela faisait un moment qu’il n’avait pas été numéro un, il l’a été je crois avec ce titre. Après il y a eu « Sang pour sang » évidemment. Une période très très forte. Je ne le voyais pas souvent, c’était l’opportunité pour nous de se reconnecter et de passer ensemble des moments intenses. C’était magique.
L’album « Sang pour sang » est son plus gros succès. Plus de deux millions de ventes.
Oui, mais au-delà du succès commercial, qui n’est pas rien, nous on travaille pour les émotions. « Sang pour sang » était un projet très personnel, que j’ai fait sur mesure pour mon père. Je vivais aux États-Unis à l’époque, je n’avais pas la prétention de pouvoir le faire. C’est la maison de disques qui m’a d’abord appelé et je leur ai dit : « Si c’est un projet de maison de disques, pas question, mais si c’est mon père qui le veut, pourquoi pas. »
Il m’a appelé quelques semaines plus tard pour me le demander. Je lui ai dit : « Écoute, si tu me laisses carte blanche et la maison de disques aussi, d’accord. » Il m’a dit : « Vas-y envoie ! » Je l’ai composé en trois semaines, je voyais mon père tous les jours, on écoutait tout ensemble, mon but c’était de passer du temps avec lui et de faire un projet ensemble. C’est l’un des moments les plus forts de ma vie.
Vous auriez aimé refaire un album avec lui ?
Oui, j’avais commencé d’ailleurs à composer pour lui. Cela ne s’est pas fait parce qu’il est parti. J’avais commencé à écrire en janvier-février de l’année dernière, j’avais quatre cinq titres déjà, mais je ne voulais pas lui en parler. Ma sacrée discrétion (il sourit), que ma mère me reproche encore… « Mais pourquoi tu ne nous dis rien ? »
C’est au nom de ces liens musicaux que vous demandez un droit de regard sur l’utilisation de son œuvre ?
C’est mon père, je trouve ça normal. Avec une telle carrière, c’est normal que son fils, sa fille comme ses deux autres petites filles aient un droit de regard dessus. C’est la logique même, je ne vois pas dans quel pays ce ne serait pas logique. Et aussi parce que je suis musicien. Il m’a toujours fait écouter ses albums avant qu’ils sortent, au moins en partie.
J’ai écouté deux titres avec lui dans une voiture. C’était au stade de maquette. C’était bien ce qu’il avait fait. Sa voix était incroyable, mais ce n’est pas une découverte. C’était une force de la nature, l’amour de chanter et de faire de la musique a été salvateur pour lui jusqu’au bout. C’est là qu’il était le mieux, il était plus à l’aise sur scène que dans sa vie personnelle.
La dernière fois que vous l’avez vu en concert, c’était où ?
Avec Les Vieilles Canailles à Bercy (NDLR : en juin). C’était un concert incroyable, mais lui était incroyable. Il surmontait tout.
Un million de Français étaient à Paris pour ses obsèques. Comment les avez-vous vécues ?
La perte de quelqu’un qu’on aime est déjà difficile. Ce qui m’a sauvé authentiquement, c’est de voir ce rassemblement. Cela m’a rendu plus fort à ce moment-là, l’amour du peuple, c’était aussi sa famille, avec ses hauts et ses bas. Vivre ces moments insupportables, on aurait voulu que ce soit quelque chose de privé, en tout cas sans la télé, mais avec du recul, cela a été méga puissant pour Laura et moi et cela nous a donné de la force. C’était de l’amour pur, inconditionnel, c’est tellement rare… Quand le peuple arrive à se rassembler comme ça, c’est magique.
On vous a proposé de jouer à La Madeleine ?
Oui, mais ce n’était pas ma place. Ma place était d’attendre mon père où je l’ai attendu.
Vendredi soir, votre mère lui a aussi rendu hommage à Paris…
J’espère qu’elle a tenu le coup, car elle avait peur de se laisser submerger par l’émotion. Elle a une pêche incroyable ! Dans la famille, on a des gènes costauds. Ma grand-mère est une descendante directe d’Attila, le côté viking de mon père. Il avait vaincu tellement de fois la maladie, je pensais qu’il allait encore réussir cette fois. Ce qui est triste et rassurant, c’est qu’il était humain.
Vous préparez un nouvel album ?
La musique, la composition, cela aide à transformer la tristesse en quelque chose de très fort, cela participe de notre transformation génétique quand on perd un proche. Je suis encore en train de digérer plein de trucs, je prends mon temps, je ne suis pas encore prêt. D’abord la tournée.
Elle coïncide avec vos trente ans de carrière…
Oui, c’est fou. J’ai l’impression d’avoir 25 piges encore, même dans la tête. Je m’ouvre de plus en plus au public, c’est très agréable de sentir cette évolution. J’ai moins de craintes avec l’âge. J’arrive très très bien à hiérarchiser les priorités.
(Gêné par la question). Comment vous dire… Quel que soit le métier qu’il fait, cela reste un père, l’une des deux personnes qui t’a fait. Oui il me manque terriblement, il y a des hauts et des bas, des moments où je me sens fort, des moments où je me sens moins fort. Dans ces moments, je pense à lui et cela me donne de la force.