18 Mars 2018
Plus d'un an après la controverse, le bar-PMU de Sevran accusé dans un reportage de France 2 de bannir les femmes cherche à tourner la page, même si les blessures et les questions demeurent.
Le 8 mars dernier, sur les murs fatigués de l'établissement qu'il tient depuis 2010, Amar Salhi a accroché un portrait de Simone Veil. En ce jour dédié aux droits des femmes, il a aussi sorti le champagne et les petits fours pour accueillir l'humoriste et animateur radio Yassine Belattar, qui vient d'investir dans le "Jockey Club". "On va rénover, faire de la restauration, peut-être même arrêter le PMU.
Ce sera mon dernier défi, que je puisse récupérer un peu de confiance en moi et de dignité", dit cet ancien boulanger "sans histoire" dont la vie "a basculé" le 7 décembre 2016. En pleine campagne présidentielle, France 2 diffuse alors au "20H00" un reportage où deux militantes féministes de la "Brigade des mères" s'aventurent en caméra cachée dans ce bar de Seine-Saint-Denis pour dénoncer ces lieux publics où les femmes seraient "indésirables".
"Dans ce café il n'y a pas de mixité", "on est à Sevran, pas à Paris (..) Ici, c'est une mentalité différente, c'est comme au bled", leur assènent des clients. "Aller dans un bar, ici, c'est braver un interdit pour une femme", dit la voix off. Très vite, c'est l'emballement sur les réseaux sociaux, où certains érigent le lieu en symbole de la mainmise supposée des islamistes sur les banlieues, et les caméras du monde entier se succèdent devant ce café français supposément "interdit" aux femmes.
Dans les semaines qui suivent, plusieurs médias publient toutefois des contre-enquêtes montrant que les femmes ne sont pas plus bannies du Jockey Club que les jeux d'argent ou l'alcool.
Ce 8 mars, des élus locaux de tous bords sont de nouveau venus apporter leur soutien à Amar Salhi, qui a déposé plainte en juin contre la chaîne pour "diffamation" et "incitation à la haine raciale". "Ce n'était pas le bon endroit. La réalité, ce n'est pas noir ou blanc, mais gris clair ou gris foncé", dit le maire écologiste de Sevran, Stéphane Gatignon. Pour la députée Front de Gauche Clémentine Autain, "c'est certes un bar où la présence masculine est dominante, comme c'est le cas dans de nombreux PMU, même à Paris".
Mais, insiste la féministe, "c'est autre chose de prétendre que c'est interdit aux femmes" parce que "c'est Sevran et que le public est musulman". A France Télévisions, "on ne souhaite plus communiquer à ce sujet". Et l'on renvoie au CSA, qui n'a relevé aucun manquement et estimé que "ce reportage ne stigmatisait pas les habitants de Sevran, les faits étant représentés comme un problème de société global".
Début février, le Bondy Blog a rouvert le dossier en affirmant qu'Hervé Brusini, directeur chargé notamment de la diversité à France Télévisions, avait reconnu un "bug" lors de ce reportage. La chaîne avait alors fait savoir qu'elle ne faisait "en aucun cas amende honorable, comme certains ont pu le relayer en déformant et instrumentalisant les propos d'Hervé Brusini". De son côté, Yassine Belattar exige des "excuses du service public et de Delphine Ernotte", la patronne de France Télévisions, écoeuré que "les gens de banlieue payent la redevance pour se faire insulter".
Pour l'anthropologue Catherine Deschamps, spécialiste du genre et de l'espace public, on a assisté avec l'affaire de Sevran à "l'instrumentalisation de certaines catégories de victimes --d'un côté des femmes blanches contre des hommes qui ne sont pas tout à fait blancs".
Et la chercheuse de rappeler qu'"en province, dans les petits villages, les cafés sont essentiellement masculins" et que les femmes ne s'y sentent "pas forcément à l'aise". Le patron du Jockey Club est, lui, formel : "Demandez à n'importe quel patron de bar s'il ne préfère pas avoir des femmes à son comptoir que des hommes mal rasés! Evidemment que c'est plus plaisant une femme."
Source JMM