Nouvelle étape pour la réforme ferroviaire : les sénateurs votent mardi après-midi le projet de loi qu'ils ont modifié pour donner des gages aux syndicats, mais ceux-ci veulent peser jusqu'au bout du processus parlementaire en excluant à ce stade la fin de la grève.
Les sénateurs ont approuvé mardi une version remaniée de la réforme de la SNCF à l'origine de la grève des cheminots qui vient d'entrer dans son troisième mois, une étape considérée par le gouvernement comme décisive pour sortir du conflit.
Le projet de loi "pour un nouveau pacte ferroviaire" a été approuvé par 240 voix contre 85. La droite, majoritaire, a voté en sa faveur, de même que les centristes et les élus La République en marche. Les groupes de gauche ont voté contre.
"Je suis confiante car non seulement les grands axes de la réforme ont été confortés mais la volonté d'aboutir à un accord pour l'avenir du système ferroviaire français est, je le sais, partagée", a déclaré la ministre des Transports, Elisabeth Borne, juste après la proclamation des résultats
Le texte fera lundi prochain l'objet d'une commission mixte paritaire chargée d'harmoniser la version ainsi validée et votée par l'Assemblée nationale en première lecture le 17 avril. En cas d'accord, ce serait la fin du processus législatif.
Le Sénat a introduit plusieurs amendements, dont une partie avec l'aval du gouvernement et sur proposition des syndicats réformistes, pour préciser le volet social de la réforme.
L'ultime version du texte fait passer de six à huit ans la durée pendant laquelle les salariés transférés pourront demander à réintégrer le statut en cas de réembauche au sein du groupe SNCF. Les sénateurs ont aussi adopté des amendements visant à maintenir une desserte fine de tous les territoires.
Ils n'ont en revanche pas abrogé les grands principes de la réforme, à savoir l'ouverture à la concurrence, la fin du statut de cheminot pour les nouvelles recrues et la transformation juridique de la SNCF.
En réponse aux inquiétudes quant à une future privatisation de l'entreprise, le Sénat a introduit dans le texte la notion d'"incessibilité" des titres de la société ferroviaire et de ses filiales SNCF Réseau et SNCF Mobilité.
Un échec en commission mixte paritaire retarderait la fin du processus législatif et donc potentiellement la résolution de la crise, entrée le week-end dernier dans son troisième mois.
Sans préjuger de l'issue des discussions, le président du groupe Les Républicains à l'Assemblée nationale, qui avait voté pour le texte, a indiqué que son camp n'était "pas du tout dans une logique de faire durer les choses".
"On est dans un état d'esprit qui est positif", a dit Christian Jacob devant la presse.
Pour le gouvernement, les résultats des travaux au Parlement devraient convaincre les cheminots de cesser la grève.
"Quand la loi sera votée, elle s'appliquera, quel serait le sens de continuer le mouvement une fois le texte voté ?", s'est interrogée Elisabeth Borne sur LCI. "La raison l'emporte, c'est ce qui est en train de se passer. Les Français veulent cette réforme."
Mais pour le secrétaire général de la CGT, Philippe Martinez, ce sont "les cheminots qui décident".
"C'est jamais plié. Le gouvernement avait prévu de le plier en 15 jours et ça fait deux mois maintenant qu'on discute d'un sujet de fond", a-t-il fait valoir sur France 2. "La mobilisation a permis des reculs du gouvernement."
La quatorzième séquence de grève de deux jours doit commencer jeudi. Le mouvement par intermittence, censé durer jusqu'au 28 juin, a coûté au moins 400 millions d'euros à la SNCF, selon une source proche du dossier.
Les syndicats de la SNCF ont appelé à la poursuite de la grève en dépit de la promesse formulée par le Premier ministre, Edouard Philippe, d'une reprise de la dette de la compagnie ferroviaire à hauteur de 35 milliards d'euros.
Selon un sondage Ifop pour le Journal du dimanche, les Français continuent de juger majoritairement que la grève des cheminots n'est pas justifiée.
Par rapport aux précédentes éditions de cette enquête publiée chaque semaine, l'opposition au mouvement reste stable à 56%, de même que la proportion de 64% des Français déclarant souhaiter que l'exécutif ne cède pas face à la mobilisation.
Gonfler les taux des grévistes, alors que la mobilisation s'est effritée au fil des épisodes de deux jours de grève, l'intersyndicale a décidé de rejouer la carte d'un nouveau temps fort unitaire. Après sa journée dite "sans cheminots" le 14 mai, qui avait enregistré un rebond de la mobilisation, l'intersyndicale a prévu le 12 juin une "Journée de la colère cheminote".
"Dire qu'il n'y a pas une forme d'usure, ce serait mentir", a reconnu lundi Didier Aubert (CFDT) tout en tablant sur "un réservoir de cheminots prêts à se mobiliser". D'ici là, le 14e épisode de grève commencera mercredi soir.
Entre le projet de loi adopté en avril par les députés et celui soumis au vote des sénateurs mardi, quelles sont les avancées apportées via des amendements aux cheminots toujours mobilisés contre la réforme ferroviaire ?
A l'Assemblée nationale, "les négociations sur ce point central pour les cheminots n'étaient pas abouties", reconnaît-on au ministère des Transports. Qui sera concerné ? Il y aura transfert d'agents de la SNCF vers d'autres entreprises ferroviaires quand le groupe public perdra un marché face à un rival lors d'appels d'offres, après l'ouverture à la concurrence. "Le Sénat a renforcé la priorité donnée au volontariat", afin d'avoir "le moins de transferts obligatoires possibles", souligne-t-on au ministère. L'objectif est d'atteindre un effectif suffisant pour "garantir la continuité du service public" ferroviaire.
Les plus apportés par les sénateurs :
- Un élargissement du champ d'appel aux volontaires à l'échelle de la région et pas seulement au seul périmètre du marché perdu,
- La SNCF devra proposer un poste de reclassement à tous les cheminots qui consacrent moins de 50% de leur temps de travail à un marché perdu et refuseraient d'être transférés,
- Les personnels transférés conserveront l'intégralité de leur rémunération, y compris "les allocations" (à la SNCF, ce sont les parts variables de la rémunération qui s'ajoutent au salaire de base et qui peuvent représenter une part importante du revenu),
- Le droit au retour: entre la troisième et la huitième année après son transfert, un salarié parti chez un concurrent pourra revenir à la SNCF et aura alors le choix entre récupérer tous les droits liés au statut de cheminot ou réintégrer le groupe public en signant un nouveau contrat,
- Un capital "incessible" : le nouveau texte précise que le capital public des entités SNCF (la société de tête, la direction), SNCF Réseau (les rails) et SNCF Mobilités (les trains) est "incessible". Les syndicats craignaient que la précédente version du projet de loi n'ouvre la voie à une possible privatisation. Le texte sorti de l'Assemblée parlait d'une SNCF à capitaux publics, intégralement détenue par l'Etat, et de filiales SNCF Réseau et SNCF Mobilités elles-mêmes intégralement détenues par la SNCF. "Pour clore tout faux débat, le terme incessible a été ajouté à titre symbolique", a expliqué le ministère,
- Un groupe unifié : le Sénat a défini un "périmètre ferroviaire unifié" rassemblant les trois entités actuelles SNCF, SNCF Réseau et SNCF Mobilités. Le statut protecteur des cheminots restera en vigueur dans ce périmètre pour les salariés ayant acquis ce statut d'ici à fin 2019, les embauches sous ce statut s'arrêtant à partir du 1er janvier 2020.