Une nouvelle « infox » fait son chemin sur le web, à propos du traité franco-allemand qui sera signé mardi prochain. Ce texte anodin ne parle que de coopération renforcée, mais la défiance ambiante alimente les théories du complot.
La manipulation est tellement grossière qu’on frise le ridicule de devoir la contredire. Mais elle prend une telle ampleur sur les réseaux sociaux que l’ignorer, c’est la laisser se répandre. Alors non, la France ne s’apprête pas à « vendre » l’Alsace et la Lorraine à l’Allemagne, mardi prochain.
Emmanuel Macron et Angela Merkel se retrouvent bien mardi à Aix-la-Chapelle, et vont bien signer un nouveau traité entre les deux pays, portant « sur la coopération et l’intégration franco-allemandes ». Mais la lecture austère de ce long texte ne contient aucune ambiguïté.
Le seul passage qui concerne l’Alsace et la Lorraine est le chapitre 4, sur la coopération régionale et transfrontalière, mais on n’y parle que de projets visant à faciliter la vie quotidienne des habitants, transports, environnement, numérique, énergie. Pas une ligne sur une souveraineté cédée ou même partagée, on est dans l’amélioration de ce qui existe déjà, et que les Strasbourgeois, par exemple, connaissent bien, eux qui, depuis deux ans, peuvent aller en simple tram dans la ville allemande de Kehl. Sans perdre leur nationalité ou leur âme.
Mais surtout, qui peut croire une seconde qu’un gouvernement français, quel qu’il soit, puisse aujourd’hui « vendre » en catimini une région et ses habitants à un autre État ? Ca parait insensé et pourtant certains y croient.
C’est un eurodéputé souverainiste de Debout la France, Bernard Monot, qui a lancé la charge de manière grossière, avec une vidéo dans laquelle il accuse Emmanuel Macron de vouloir « livrer l’Alsace et la Lorraine à une puissance étrangère ».
Il n’en fallait pas plus pour enflammer les réseaux sociaux, et notamment les comptes gilets jaunes. Indignation générale, pétition en ligne, et un peu d’opportunisme politicien, comme Marine Le Pen qui, sans reprendre à son compte la rumeur, accuse quand même Emmanuel Macron, sur BFM-TV, de « vendre notre pays et d'effondrer notre souveraineté ».
En fait, c’est la répétition de ce qui s’était déjà passé en novembre avec le Pacte de Marrakech sur l’immigration. Souvenez-vous, les gilets jaunes s’étaient enflammés sur le fait qu’Emmanuel Macron allait, là aussi, « vendre » la France à l’ONU.
Dans cette période de défiance, exacerbée par les réseaux sociaux, le fait que la diplomatie se fasse sans grande transparence alimente les théories du complot : le traité n’était toujours pas disponible hier sur le site du Quai d’Orsay, c’est une faute.
La portée de ce texte est pourtant largement symbolique. Rien n’était secret : Emmanuel Macron et Angela Merkel avaient annoncé la mise en chantier de ce nouvel accord il y a un an, destiné à marquer l’anniversaire du traité de l’Élysée qui a scellé la réconciliation franco-allemande, signé par le général de Gaulle et le Chancelier Adenauer, le 22 janvier 1963.
A l’arrivée, on a un texte peu innovant. Il vise à poursuivre le rapprochement entre les deux pays, mais sans franchir de nouvelle étape. Seule nouveauté, la création d’un Parlement franco-allemand, sans pouvoir législatif.
Mais la leçon de cette affaire est que l’exigence de transparence et l’absence de confiance doivent être pris en compte par les gouvernants, sous peine de voir des actes anodins transformés en complots. A méditer.