En 2018, coup sur coup, nous avons eu droit aux disques posthumes de Maurane, de Johnny et de Bashung. Probablement un peu jaloux du succès de ses confrères, Corbier a donc décidé de suivre la mode. Faut dire aussi qu’il avait tout compris, le bougre : pour faire le buzz, rien ne vaut un chanteur mort ! N’avait-il pas avoué jadis : Si j’étais sûr en mourant / De bourrer l’Olympia / J’avancerais de 30 ans / Le jour de mon trépas ?
Voici donc disponible l’ultime opus de notre cow-boy fringant. Son titre n’est pas des plus joyeux (Jours de blues) et la belle pochette donne le ton : une photo prise par son fils Wilfried, qui nous le montre derrière une vitre mouillée de pluie, le regard grave pointé sur nous. Une façon de nous faire comprendre d’emblée que le masque de clown avait été remisé au placard l’espace de cet album.
Ceux qui connaissent l’œuvre de Corbier ne seront évidemment pas surpris. Depuis toujours, les chansons humoristiques et sarcastiques côtoient dans son répertoire des chansons plus tendres ou plus sérieuses. Elephantasme et Fichue journée vont de pair avec Droséra ou Jean Jean. Suivant la voie de son CD précédent, Vieux lion, déjà moins ouvertement jovial, cet ultime album enfonce le clou. Sur les huit chansons qui le composent, seules deux s’avèrent plus légères, les autres morceaux se maquillant au rimmel de la nostalgie. Est-il besoin de préciser que le disque n’en est que plus émouvant ?
La première chanson du disque, Novembre, est probablement la plus belle. Une fois n’est pas coutume, la musique n’est pas de Corbier, mais est signée Romain Didier. Une déambulation dans un Paris grisâtre, mêlant l’horreur de l’actualité à la mélancolie d’un amour qui n’est plus. Superbe morceau à même de serrer le cœur des plus endurcis. De la tristesse des grandes villes, il en sera encore question dans Banlieue 1962, tandis que Pauvre Jean s’adresse à Cabu, son ami des années Dorothée, tombé au champ d’honneur de l’humour. Est-il besoin de souligner l’atmosphère d’une chanson portant le titre de Nostalgia ? Enfin, Reine nous conte une tragique histoire de deuil. Rayons de soleil dans cette brume : les considérations métaphysiques de Rosalinde (Pourquoi les vieux le samedi / Vont faire leurs courses à l’Hyper / Là j’m’y perds !), le tableau joyeux d’une bande de hippies (La Communauté), le constat désabusé et drôle des motivations de l’électorat (De sa main il a tué son père / Egorgé sa sœur, violé sa mère / Mais je sais que c’est un bon gars / J’irai voter Caligula).
Pour le suivre dans ce dernier voyage discographique, Corbier aura pu compter sur les fidèles Eric Gombart (qui l’accompagnait sur scène depuis des années), Cyrille Catois et Patrick Balbin (chargé également de l’enregistrement et du mixage). Trois maîtres de la six cordes, à l’image du chanteur. Guitares acoustiques, guitares électriques et guitares basses sont donc les seuls instruments convoqués pour ce Jours de blues. Nulle monotonie toutefois, les ambiances allant de la délicate ballade au country-folk, en passant par le swing jazzy et s’achevant sur un saignant blues-rock digne de ZZ Top.
On n’écoute pas un disque posthume de la même manière que ceux qui l’ont précédé, surtout lorsque l’on sait qu’il a été enregistré alors que l’artiste était déjà fort malade. Malgré elle, l’oreille cherche l’indice de la santé chancelante, une voix plus trop juste, un souffle un peu court. L’esprit, lui, scrute les textes et l’ambiance musicale pour y trouver les traces d’un testament artistique. Ce disque n’échappe pas à la règle. On devine notre Corbier, qu’on a connu si joyeux (quoique d’une lucidité sans faille), désenchanté par le monde comme il va et probablement affaibli par son foutu crabe. Ses dernières chansons ne nous en sont que plus précieuses. Du bonheur triste, ça reste du bonheur. So long, Corbier. Et merci encore.