Honte d'emprunter l'avion, prix attractifs, volonté de prendre le temps de voyager… En Europe, le train de nuit a le vent en poupe. En France, seules deux lignes subsistent et en l'état actuel de l'offre, ce moyen de transport écolo peine à satisfaire ses usagers.
Sous la marquise de la gare d’Austerlitz à Paris, le quai se remplit peu à peu, à l’extrémité de l’édifice. Il est 21h30, au milieu de l’été, le départ du train de nuit en direction de Latour-de-Carol dans les Pyrénées-Orientales, à la frontière avec l’Espagne, approche. C’est l’un des rares qui circulent encore. Ce train couchettes ne désemplit pas. Un contrôleur le confirme : «En général, l’été, c’est plein. Et l’hiver, c’est celui qui va dans les Alpes.»
Ian, la trentaine, marche à côté de son vélo. Ce Londonien est à mi-parcours : il relie Londres à Barcelone, en train et à vélo. Il connaît bien le train de nuit et l’a beaucoup pratiqué en Angleterre et en Russie : «L’avion, c’est fini, je ne le prends plus quand je voyage en Europe.» Un peu plus loin, Nicola, François et leur fille Clara patientent. Eux prennent la direction de Tarascon-sur-Ariège, pour les vacances. «Je circulais souvent en train de nuit quand j’étais jeune. Quand j’ai vu qu’on pouvait en profiter pour partir en vacances, je n’ai pas hésité», explique Nicola. «Mon époux pensait même que les trains de nuit n’existaient plus», poursuit-elle. Aujourd’hui, la famille, qui vit à Bruxelles, ne jure que par le train : pour leurs week-ends à Londres et Paris, l’expédition au mont Ventoux le mois dernier, en Allemagne pour rendre visite à leurs proches… A tel point qu'«on se demande pourquoi on a acheté une voiture…» plaisante François.
Le réchauffement climatique, les prix des billets de TGV, la culpabilité liée au «flygskam» [honte de prendre l’avion] et le sentiment retrouvé que le voyage lui-même peut s’apprécier en tant que tel, profite au train de nuit qui devient une alternative sérieuse. Mais en l’état actuel, il offre peu de possibilités.
En 2016, l’Etat annonce la suppression de la totalité des trains de nuit. A l’exception de deux lignes : le Paris-Briançon et le Paris-Latour-de-Carol-Rodez-Toulouse-Portbou. Il y a quelques années, plus de soixante lignes se déployaient sur le territoire français. «La SNCF a massacré les trains de nuit sous la pression de l’Etat», selon Pascal Dauboin, membre du collectif Oui au train de nuit à l’origine d’une pétition réunissant plus de 150 000 signatures contre le démantèlement de ce moyen de transport. Ce Palois de 57 ans était un usager régulier de «la Palombe bleue», la ligne Paris-Tarbes-Hendaye, aujourd’hui supprimée. «En 2017, elle enregistrait 43% de suppression de trains ou de retards. Comment vouliez-vous encourager les gens à réserver ?» peste-t-il.
Juliette Labaronne est l’auteure du livre Slow train. Elle y recommande 30 échappées ferroviaires à bord de trains régionaux. Dont une de nuit : Paris-Portbou justement. Cette ancienne journaliste a travaillé un temps pour la SNCF, au moment de la suppression des intercités de nuit. Elle est encore très remontée : «On a dit que les trains de nuit, c’était du passé. On a répété qu’ils étaient vides avec beaucoup d’hypocrisie. La SNCF a tout misé sur la culture de la grande vitesse tournée vers la performance. On a préféré inaugurer des Paris-Bordeaux étincelants…» Aujourd’hui, quels sont les chiffres de fréquentation de ces trains ? Impossible de le savoir. La SNCF ne souhaite pas communiquer sur les taux de remplissage mais affirme que les ventes sont stables sur ces lignes.
L’absence de rentabilité est l’autre argument justifiant la suppression des trains couchettes. Pour Juliette Labaronne, c’est une «aberration historique» : «Le train, c’est politique, depuis la naissance du ferroviaire. Au départ, les lignes de train ont été créées par des sociétés privées. Puis, les petites lignes sont tombées en banqueroute avant même d’être finalisées ou juste après leur mise en service. Le ferroviaire n’a jamais dégagé de profit. En France, une seule ligne serait rentable : le Paris-Lyon. Dire que le train de nuit n’est pas rentable ne tient pas.» Les usagers regrettent aussi le peu de publicité dont bénéficie le train de nuit et dans certains cas, l’impossibilité de réserver des billets sur le site de la SNCF.
Mais le vent est en train de tourner. «Médiatiquement, ça bouge», reconnaît Juliette Labaronne. En Europe, le train de nuit reprend des couleurs. La société autrichienne OBB propose une large offre de voyages en train de nuit, en Allemagne, en Suisse, en Italie et en Autriche. Elle observe d’ailleurs une augmentation de ses ventes, selon un article du Monde. La Suède a également débloqué 4,7 millions d’euros pour relancer des trains de nuit. Caledonian Sleeper, une compagnie subventionnée par le gouvernement écossais a quant à elle investi 170 millions d’euros.
«Ça préfigure peut-être ce qui pourrait se passer en France, espère Juliette Labaronne. On nous a pris pour des hurluberlus à vouloir garder nos trains de nuit. Aujourd’hui, on sait que c’est le mode de transport le plus écolo», continue-t-elle. Selon Pascal Dauboin, du collectif Oui au train de nuit, le tout vitesse ne fait plus recette : «Il y a une demande de douceur du voyage. La prise de conscience écologique est bien là. Mais ça se voit plus à l’étranger que chez nous.»
Un amendement à la Loi d’orientation des mobilités en cours d’examen au Parlement demande un rapport sur la relance des trains de nuit. Il a été approuvé par le gouvernement. Pour Jeanine Dubié, députée PRG de la deuxième circonscription des Hautes-Pyrénées et fervente défenseuse du train de nuit, ce n’est pas suffisant. «Lorsqu’on a tenté de défendre «la Palombe bleue», on nous a répondu : "Ça ne se justifie pas, vous avez des lignes aéroportuaires"», se rappelle-t-elle. L’élue enfonce le clou : «Aujourd’hui, on n’a plus le droit de faire l’économie du train.»
Alors peut-on vraiment partir en vacances en train de nuit ? Juliette Labaronne expérimente les petites lignes depuis de longues années et selon elle, «c’est presque du militantisme de faire ces trajets». Elle s’interroge : «On peut aller où avec un train de nuit aujourd’hui en France ? L’offre est trop peu satisfaisante.» «Ce n’est pas un problème de demande mais d’offre, complète Pascal Dauboin. Tant qu’on continuera de trouver des Paris-Nice à quelques dizaines d’euros en avion, on n’arrivera pas à capter une part du trafic aérien pour redonner au train de nuit sa juste place», conclut Nicolas Forien, étudiant à Paris et membre du collectif Oui au train de nuit.
En gare d’Austerlitz, ce soir-là, ce sont surtout les prix attractifs, 60 euros environ, qui ont convaincu les passagers de monter dans les wagons couchettes. Sacha, Madeleine et Loïc, respectivement 20, 21 et 22 ans, venaient de Bruxelles et une mauvaise expérience en stop les a convaincus de prendre le train de nuit, direction le Lot. Même chose pour Teresa et Victor, 27 et 26 ans. L’argument écolo s’entend. «Mais c’est surtout pratique» pour le jeune couple. Ils font une halte à Rodez, chez un ami. Pour s’y rendre, pas vraiment d’autres options. Et cela n’empêchera pas Teresa de prendre l’avion, pour la suite de son voyage.