Selon la professeure Gabelle, « la France pourrait avoir une position de leader et proposer bientôt ce médicament aux patients entrant dans la maladie ».
De retour de San Diego (États-Unis), où se tenait le congrès international sur les essais thérapeutiques dans la maladie d'Alzheimer et les syndromes apparentés, Audrey Gabelle (professeure de neurologie et neurosciences, directrice du Centre mémoire de ressources et de recherche et du centre de compétences démences rares et précoces au CHU de Montpellier) ne masque pas son enthousiasme. C'est aussi le cas de la majorité des chercheurs, des cliniciens et des laboratoires pharmaceutiques réunis aux États-Unis jusqu'à samedi dernier. Après tant d'espoirs déçus, différentes annonces poussent à l'optimisme. Elles concernent la gestion des troubles du comportement (hallucinations et délires) à des stades avancés de la pathologie et, surtout, les effets positifs d'un traitement ciblé destiné aux premiers stades de la maladie d'Alzheimer.
Le Point : Quel est ce médicament qui suscite tant d'espoirs ?
Professeure Audrey Gabelle : L'aducanumab, un anticorps monoclonal spécifique de l'amyloïde, produit par le laboratoire américain Biogen et son partenaire japonais Eisai. Cette molécule module le système immunitaire afin d'éliminer l'amyloïde, qui, sous ses formes soluble ou insoluble (plaques amyloïdes), détruit les neurones. C'est le principe de l'immunothérapie passive.
Son histoire n'est pas banale puisque son effet a été jugé insuffisant il y a plus de six mois. Que s'est-il passé depuis ?
Il faut savoir que les instances réglementaires demandent aux laboratoires des études intermédiaires (avant la fin des essais thérapeutiques), études dites de futilité, pour voir si la molécule testée a des chances de tenir ses promesses. L'analyse sur les 803 premiers patients était négative sur le critère principal. Biogen a alors décidé d'interrompre l'essai. Mais, entre les analyses intermédiaires et la fin de l'étude, plus de patients ont été inclus, et surtout plus de patients aux fortes doses d'aducanumab (10 mg de produit par kilo). Ainsi, les analyses finales sur 1 638 patients sont positives, avec une réduction de 22 % du déclin cognitif et de 40 % du déclin fonctionnel (impact sur les activités quotidiennes) chez ceux qui ont reçu la dose la plus forte et sur une période longue.
Qu'est-ce que cela veut dire exactement ?
Que la maladie évolue beaucoup moins vite avec ce traitement administré à de fortes doses et pendant longtemps que sous placebo. Certes, les patients ne récupèrent pas leur état cognitif antérieur, mais ils se stabilisent. C'est un bénéfice d'autant plus important que, à ce stade, les atteintes cognitives ne sont pas encore très marquées.
Et, au niveau biologique, les bénéfices sont-ils aussi visibles ?
Oui, il y a une cohérence avec les autres marqueurs. À l'imagerie, on assiste à une réduction des plaques, voire à leur quasi-disparition. L'effet de l'aducanumab sur les protéines tau, qui s'accumulent dans les neurones des malades, est encore plus intéressant. Les lésions tau diminuent à l'imagerie et dans le liquide céphalorachidien. C'est la première fois qu'un traitement qui cible l'amyloïde montre un effet sur les autres mécanismes pathologiques.
Au prix de quels effets secondaires ?
Dans le groupe recevant les perfusions les plus fortement dosées, il y a des réactions d'œdème ou de micro-saignements au niveau cérébral dans 40 % des cas, mais le plus souvent on ne les dépiste qu'à l'IRM car ils ne provoquent aucun symptôme. Il faudra donc suivre ces patients de façon spécifique et rigoureuse, mais c'est plutôt encourageant.
La voie de la guérison de la maladie d'Alzheimer est-elle enfin ouverte ?
Cette fois, l'espoir est bien réel puisque les résultats cliniques sont clairement positifs et qu'ils sont cohérents avec les biomarqueurs. Après tant d'échecs, on a encore du mal à y croire ! L'Agence du médicament américaine a demandé au laboratoire Biogen de déposer un dossier pour évaluer la mise sur le marché de ce traitement. Les discussions sont en cours auprès de l'Agence européenne des médicaments. Je pense désormais que la France pourrait occuper une position de leader et proposer ce traitement dans le cadre d'une autorisation temporaire d'utilisation (ATU). On approche du but pour les patients et les familles.