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Frédéric Beigbeder sur l’affaire Matzneff : «Évidemment, on se sent morveux»

Le Parisien avait rendez-vous ce jeudi matin pour parler avec lui de son nouveau livre. Un roman avec un visage qui pleure de rire en guise de titre, qui dénonce la dictature du ricanement dans les médias. Mais impossible pour Frédéric Beigbeder de parler d'autre chose que du « Consentement » de Vanessa Springora, dont il vient tout juste d'achever la lecture.
 
Cette éditrice de 47 ans y relate la longue relation qu'elle a eue sous emprise avec l'écrivain Gabriel Matzneff, alors qu'elle n'avait que 13 ans. Et lui 50. Elle dénonce aussi « l'aveuglement » du milieu littéraire, Matzneff ayant raconté son attirance pour les pré-adolescents dans plusieurs livres. Auteur à succès, critique littéraire et membre du jury du Prix Renaudot, qui avait sacré Gabriel Matzneff en 2013, Frédéric Beigbeder s'explique.
 
Quel est votre sentiment à la lecture du « Consentement » ?
 
FRÉDÉRIC BEIGBEDER : Ce livre est sobre, sincère, tranchant et très impressionnant. Vanessa Springora est encore dévastée d'être tombée amoureuse de cet homme il y a 30 ans. C'est un véritable choc comme l'ont été les lectures de « Il m'aimait » de Christophe Tison en 2004, qui, petit garçon, a été séduit par un ami de ses parents. Et, plus récemment, d'« Innocence » où Eva Ionesco raconte comment sa mère l'a photographiée dans des positions pornographiques quand elle était enfant. Ces trois livres – tous publiés par Grasset – décrivent le même traumatisme subi par un enfant qui, par amour, accomplit des gestes d'adulte, avec un adulte.
 
Vous apportez votre soutien à Vanessa Springora ?
 
Je suis sans ambiguïté dans le camp de Vanessa Springora. Pas parce que nous avons le même éditeur (NDLR : Olivier Nora), mais parce que je suis bouleversé par son histoire. Elle regrette que ses parents n'aient pas empêché cette relation. Que la police ne s'y soit pas intéressée. Mais elle est plus nuancée que ses défenseurs. Elle raconte aussi que Matzneff se serait fait violer enfant par un proche de sa famille. Victime puis coupable de la pédophilie, un schéma, hélas, courant. Elle le soupçonne également d'avoir essayé de se faire arrêter. Elle émet l'hypothèse que Matzneff ait pu envoyer lui-même des lettres anonymes à la préfecture pour se dénoncer. Mais ses livres auraient dû d'eux-mêmes alerter la brigade des mineurs.
 
Le week-end dernier, dans Le Monde, vous affirmiez que Gabriel Mazneff était « indéfendable », mais qu'il restait « votre ami ».
 
Parce que j'ai peur qu'il se suicide et que je n'ai pas envie de m'acharner sur un homme déjà cloué au pilori. Comme la plupart des gens jusqu'ici, je me suis exprimé avant d'avoir lu « Le Consentement ». On ne savait pas ce qu'avait ressenti Vanessa Springora, car on ne disposait que de la version de Matzneff. Et puis je dois ajouter que je suis effrayé par la liste des pestiférés : Yann Moix en septembre, Peter Handke en novembre, Roman Polanski en décembre, Matzneff en janvier… Ce déferlement de haine me choque. Comme si on devait exécuter une personne par mois. Cela rappelle la « semaine de la haine » dans « 1984 » de George Orwell.
 
Pourquoi le monde littéraire n'a-t-il rien fait et a continué de traiter Matzneff comme un notable ?
 
Évidemment, on se sent morveux. Les critiques littéraires ne sont ni des policiers ni des magistrats. On ne juge pas des livres sur des critères moraux, mais sur leur qualité d'écriture. Contrairement à ce que vous dites, Matzneff n'est pas un notable des lettres. Plus personne ne le fréquente. Il n'est interviewé nulle part. Ses livres ne se vendent plus depuis longtemps. Ne nous trompons pas : cette séquence dans « Apostrophe » qui tourne en boucle aujourd'hui a été dévastatrice. Il est vu comme un pestiféré depuis cette émission. C'est un « vieux monsieur dans la misère », comme dit Vanessa Springora. Et c'est ce « vieux monsieur dans la misère » de 77 ans, que le Renaudot a salué en 2013.
 
Vous regrettez d'avoir contribué à lui attribuer ce prix ?
 
C'est trop facile de refaire l'histoire aujourd'hui. On doit assumer notre choix. Ce livre nous avait paru brillant. C'était un recueil d'articles sur la politique internationale, sur Schopenhauer, Kadhafi, etc. C'est un écrivain qui a un beau style, classique, limpide. C'est clair qu'il n'aurait jamais eu le prix pour un de ses journaux intimes. On a voulu aussi faire preuve de compassion. Ce n'était en aucun cas la consécration d'un monstre pédophile. Ce prix était maladroit. Mais honnêtement je trouve ça plus étrange encore qu'il ait reçu l'insigne d'officier des Arts et des Lettres à l'époque où ses livres étaient nettement plus sulfureux.
 
Vous rejetez la faute sur d'autres ?
 
Pas du tout. Il faut mettre les pédophiles en prison. La loi doit être appliquée. Mais ce n'est pas mon métier. Nous tous, dans le milieu littéraire, nous sommes coupables de non-assistance à personnes en danger. Notre faute : ne pas avoir pris au sérieux Gabriel Matzneff. J'ai honte d'avoir longtemps cru qu'il était un mythomane, qu'il se glorifiait de faits qu'il n'avait pas commis. Je l'ai vu parfois avec des étudiantes de la Sorbonne. Mais c'étaient des jeunes femmes de 22 ou 23 ans, pas des lycéennes mineures.
 
Faut-il interdire les livres qui font l'éloge de la pédophilie ?
 
Cesser de les publier est peut-être une bonne chose, mais il va falloir censurer une partie de l'histoire de la littérature… De nombreux écrits de Gide, de Montherlant, de Sade ou de Casanova… Il y a une tradition bizarre de la littérature française qui glorifie ce type d'exploits. Comme si on tolérait ces comportements parce qu'ils sont racontés avec style. Dans son journal posthume qui vient d'être édité, Julien Green raconte comment il drague de jeunes garçons à Rome. Ce qui a rendu la situation de Matzneff possible, c'est cette tradition littéraire. Son tiraillement entre sa foi chrétienne et le péché sensuel, le rendait littérairement intéressant. Dans la préface du « Portrait de Dorian Gray », Oscar Wilde écrit : « Il n'existe pas de livres moraux ou immoraux. Les livres sont bien écrits ou mal écrits. C'est tout. » C'est ce que voulait dire Bernard Pivot dans son tweet si contesté.
 
La qualité de l'écriture excuse-t-elle tout ?
 
C'est une excellente question. Les artistes doivent-ils être vertueux ? Faut-il que les écrivains soient des personnes exemplaires ? Doit-on cesser de lire des romans qui racontent des crimes ? Pourquoi les écrivains sont-ils si fascinés par l'interdit ? Vanessa Springora a ouvert ces débats salutaires pour la société.
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