Ischgl, une station de ski du Tyrol autrichien, est devenu l’un des principaux centres de propagation du Covid-19 en Europe. Les autorités locales sont vivement critiquées pour avoir privilégié les considérations touristiques aux impératifs sanitaires.
Jusqu’à récemment, le nom d’Ischgl était associé à celui de célébrités de renommée internationale comme Paris Hilton, Naomi Campbell ou l’ex-président américain Bill Clinton, qui venaient dévaler les pistes de cette petite station de ski autrichienne. Mais depuis quelques jours, la réputation de ce petit village du Tyrol se retrouve associée à un visiteur de triste renommée : le Covid-19.
Les autorités autrichiennes ont annoncé l’ouverture, lundi 23 mars, d’une enquête pour déterminer si un cas de contamination au coronavirus n’a pas été dissimulé à Ischgl. L’accusation est d’autant plus grave que cette station de ski est dorénavant considérée comme l’un des principaux foyers de propagation de l’agent pathogène à travers l’Europe.
En effet, l’Allemagne a réussi à remonter la piste de la contamination de 300 personnes directement à Ischgl. "Notre problème ne s’appelle pas l’Iran, mais Ischgl”, a déclaré le ministre de la Santé du Land de Bade-Wurtemberg où se trouve Aalen, l'un des villes recensant le plus d'individus qui ont contracté le Covid-19 en Autriche. Une boîte mail spécifique a même été mise en place par les services sanitaires d'Aalen pour tous ceux qui auraient passé des vacances dans cette station de ski ou qui seraient entrés en contact avec des personnes qui en reviendraient. Au Danemark, environ une personne contaminée sur cinq revenait de l’Autriche. Pareil pour la Norvège. Autant de personnes qui, ensuite, ont contribué à propager le virus.
C’est l’Islande qui avait tiré, en premier, la sonnette d’alarme. Le 29 février, 15 vacanciers porteurs du Covid-19 sont descendus d’un avion à Reykjavik en provenance de Munich. Tous ces Islandais revenaient d’Ischgl. Quelques jours plus tard, le 5 mars, les autorités islandaises inscrivent la station autrichienne sur la liste des zones à risque épidémique, au même rang que l’Iran, l’Italie et Wuhan, la ville chinoise d’où est partie la pandémie.
Mais au Tyrol, l’avertissement n’est pas entendu et il faudra attendre plus d’une semaine pour que les autorités locales décident de siffler la fin de la lucrative saison des sports d’hiver. Pourtant, d’autres pays ont, rapidement, rejoint l’Islande pour essayer de faire entendre raison aux responsables de la station de ski. La Norvège a ainsi indiqué, le 7 mars, que nombre de nouvelles personnes contaminées venaient d’Ischgl. Le même jour, la petite ville tyrolienne annonçait son premier cas de Covid-19. Mais les autorités sanitaires locales précisaient dans la foulée qu’il “était peu probable que cette personne ait été contaminée au Tyrol”.
Les faits sont pourtant têtus et deux jours plus tard, l’étau se resserre encore plus autour d’Ischgl et, plus précisément, d’un bar très populaire où les skieurs avaient l’habitude de venir se détendre après une dure journée de schuss… Le "Kitzloch" devient l’épicentre de la crise sanitaire tyrolienne. La personne qui était devenue le premier porteur officiellement confirmé du Covid-19 à Ischgl y travaillait. À lui seul, il est soupçonné d’avoir contaminé une quinzaine de clients et collègues, ce qui ferait de lui un de ces fameux “super-propagateurs”, capables de passer le virus à bien plus d’individus que la moyenne. En effet, un porteur du Covid-19 contamine environ deux ou trois personnes.
“Au début nous ne comprenions pas comment un si grand nombre de cas pouvaient être liés à ce type de bar”, a raconté sur la chaîne américaine CNN Jan Pravsgaard Christensen, spécialiste des maladies infectieuses à l'Université de Copenhague. Les experts ont, cependant, rapidement compris que les us et coutumes de ces lieux y étaient pour beaucoup : “Nous avons constaté qu’ils échangeaient leur salive parce qu’on joue fréquemment au bière-pong dans ces bars et que les serveurs utilisent des genres de sifflets pour se frayer un chemin à travers la foule”, précise le spécialiste danois. Entre les balles de ping-pong qui voyageaient de bouche en bouche et les serveurs qui se passaient les sifflets, “ces lieux sont les accélérateurs parfaits de la propagation de virus”, confirme le virologue tyrolien Robert Zangerle, interrogé par le quotidien autrichien Der Standard.
Lorsque le Tyrol décide enfin, le 12 mars, de décréter la fin de la saison de ski, le mal est déjà fait. Les exploitants de remontées mécaniques font, en outre, encore traîner la fermeture des pistes quelques jours, déplore le quotidien allemand Süddeutsche Zeitung.
“L’avidité l’a emporté sur la responsabilité de veiller sur la bonne santé de la population locale et des touristes. On voulait encore profiter financièrement au maximum de cette ‘dernière’ semaine d’exploitation de pistes”, dénonce le Standard, dans un éditorial qui a fait grand bruit en Autriche.
Accusées de toute part d’avoir contribué à faire exploser les cas de contamination en Europe, les autorités tyroliennes ont riposté, arguant qu’elles “avaient pris les bonnes décisions au bon moment”, note le quotidien allemand Die Welt. Elles ont assuré avoir cherché à éviter le “chaos” et la panique qu’auraient engendré des décisions trop brutales.
En attendant, cette réponse “graduée” a eu des conséquences sanitaires plus profondes qu’une simple accumulation des cas. Ainsi, un anesthésiste de l’hôpital de Salzbourg, qui avait passé ses vacances à Ischgl, s’est présenté à son travail sans savoir qu’il était porteur du virus. Conséquence : une centaine de ses collègues - docteurs, chirurgiens, infirmières - ont dû être mis en isolement préventif, privant le plus grand centre de soin de la région d’une main d’œuvre critique en ces temps de crise.