Cela risque de faire mal. « Après les grèves des transports, les mouvements sociaux et les « gilets jaunes », le coronavirus va toucher sévèrement le monde du spectacle, si au fur et à mesure de l'évolution de l'épidémie, les instructions de fermeture d'équipements culturels ou d'annulation de concerts se font plus draconiennes », pronostique Aurélien Binder, à la tête de Fimalac Entertainment.
Nombre de producteurs n'ont pas, comme lui, contracté une assurance annulation pour cause de pandémie. Déjà, les rassemblements de plus de 5.000 personnes en milieu confiné sont interdits, ce qui annule beaucoup de concerts dans les Arenas et les Zéniths de France. Cette interdiction touche potentiellement des centaines de salles de spectacles en France et des milliers d'événements culturels selon le Prodiss, le syndicat des producteurs de musique, des théâtres privés et cabarets.
Car les dégâts vont bien au-delà ces lieux à jauge élevée. « J'ai 35 petits concerts programmés cette semaine. Certains dans l'Oise où des mesures de confinement peuvent être exigées seront peut-être annulés, ainsi que dans le Morbihan où toute manifestation collective est interdite. Il faut clarifier les directives, on en a besoin pour s'organiser et le public aussi », déplore Angelo Gopee, directeur général de Live Nation France.
« Beaucoup de producteurs qui se maintenaient déjà hors de l'eau depuis les attentats de 2015 ne passeront pas le cap. Les réservations sont en chute libre alors que mars-avril est une période de grosse activité, suivie de la saison des festivals. Et le flou sur les directives, les dates concernées, est dévastateur pour les organisateurs qui ne peuvent même pas se retourner sur les assureurs », s'inquiète Malika Seguineau, directrice générale du Prodiss.
Le spectacle musical et de variété représente 135.000 emplois en France - plus que le cinéma - et un chiffre d'affaires direct et indirect de 4,9 milliards d'euros. Mais ses acteurs sont essentiellement des petites entreprises, voire des très petites , déjà fragilisées par les mutations du secteur (numérique, internationalisation de la concurrence…) et par les réglementations de plus en plus contraignantes, notamment en matière de bruit. Les coûts de sécurité et de sûreté ont ainsi explosé depuis l'instruction de mai 2018, le secteur devant prendre en charge les frais de police et de gendarmerie en lien direct avec ces événements.
« Nous avons des trésoreries faibles et des marges négatives : moins 0,2 % quand la moyenne nationale, tous secteurs confondus, se situe à 7 %. Et donc une capacité d'investissement et d'absorption des chocs exogènes limitée », soulignait récemment Olivier Darbois, président du Prodiss, devant des candidats aux municipales à Paris, symboliquement réunis au Bataclan, toujours délaissé par le public depuis les actes terroristes de novembre 2015.
Nombre de producteurs se disent pris en étau entre des salles dont les coûts de location augmentent et des cachets qui flambent, les artistes étant plus gourmands depuis la chute des ventes de disques, profitant parfois de la surenchère des géants mondiaux comme Live Nation et AEG . « Nos entreprises gagnent peu d'argent. A Paris, il n'est même pas rare qu'elles en perdent, en raison d'une mauvaise répartition de la richesse », reconnaît Pierre-Alexandre Vertadier, le patron de Décibels Productions.
Dans ce contexte, le développement de nouveaux talents, qui représente une prise de risque importante pour des petites sociétés, pourrait bien lui aussi être sérieusement menacé par le coronavirus.
Pour Oliver Haber, directeur de la Seine musicale à Boulogne-Billancourt, les salles de grande jauge sont doublement pénalisées. Quand elles louent leur espace à un producteur et que le concert est annulé, elles perdent à minima les recettes des bars (2 à 8 euros par spectateur) et restaurants, du merchandising (très élevé sur des spectacles comme la K-pop par exemples, des loges…: ce qui a été le cas dès dimanche pour l'AccorHotels Arena avec l'annulation de l'événement hip-hop Juste Debout.
Et quand elles organisent elles mêmes un show, comme Roméo et Juliette chorégraphié par Benjamin Millepied à la Seine Musicale fin mai, elles se retrouvent dans le cas de figure des producteurs, soit contraintes d'annuler, de reporter, ou encore d'attendre les prochaines directives ministérielles si le spectacle est encore loin. «Sauf que dans l'intervalle, plus aucun billet ne se vend» observe Olivier Haber.