C'est la guerre des masques, place Beauvau. Face à la recrudescence des cas positifs au coronavirus dans la police (plus d'une soixantaine) et du nombre de policiers confinés (plus d'un millier), les syndicats de police dénoncent la pénurie de masques chirurgicaux pour les agents et l'inadaptation du ministère de l'Intérieur.
Certes, le manque de matériel médical touche l'ensemble des fonctionnaires amenés à être en contact avec le public. Mais les forces de l'ordre font valoir qu'elles doivent, elles, faire appliquer les consignes restrictives de déplacement liées à l'épidémie du coronavirus. « Comment oser demander aux forces de l'ordre de gérer la partie ordre public de la crise en admettant ne pas avoir assez de matériel pour les protéger. C'est inadmissible! » s'insurge Philippe Capon, le secrétaire général du syndicat Unsa Police.
Dès le 26 février, lors d'un comité technique à Beauvau, le responsable syndical avait demandé une dotation pour chaque policier. Le ministère de l'Intérieur a mis quinze jours pour dégoter un million de masques chirurgicaux, et il a fallu une semaine supplémentaire pour qu'ils soient distribués dans les commissariats.
« Il y a deux soucis : l'absence de stock, et le manque de consignes sur le port de ce masque » commente Fabien Vanhemelryck, secrétaire général du syndicat Alliance. « En cas de contamination à grande échelle, nous ne pourrons plus accomplir nos missions ». La direction générale de la police nationale se réfugie derrière les consignes de l'Agence régionale de santé (ARS). « Le port du masque ne doit pas être systématique mais adapté aux circonstances et aux missions des policiers » rétorque Michel Lavaud, le porte-parole de la police nationale.
Dès le 13 mars, Frédéric Veaux, le directeur général de la police nationale, a indiqué dans un télégramme que nous nous sommes procuré qu'il « conviendra qu'un kit soit disponible dans les véhicules de patrouille ou d'intervention ». Mais il a aussitôt demandé à ses troupes de veiller « à ce que l'usage de ces masques soit strictement contrôlé, les stocks disponibles étant limités ».
Quatre « fiches réflexes » expliquent les consignes à adopter. Il est notifié que le policer doit utiliser un masque chirurgical et des gants (à usage unique) uniquement en présence d'une personne montrant des symptômes du Covid-19 dans un milieu confiné, comme lors d'une prise en charge dans un véhicule de police, en cas de signalisation ou lors d'un échange dans une cellule de garde à vue ou de centre de rétention administrative. A contrario, en milieu ouvert, et sans contact direct, pas besoin de masque, seule une distance d'un mètre est recommandé. Si l'intervention nécessite un rapprochement, le policier doit revêtir un masque uniquement si la personne suspectée refuse d'en porter un. Enfin, en milieu ouvert avec contact direct, le masque est obligatoire.
Voilà pour la théorie. Sur le terrain, les instructions semblent être interprétées très différemment en fonction des directeurs départementaux de sécurité publique (DDSP). Ainsi, Ludovic Kauffman, patron des policiers en tenue des Yvelines, écrit dans un courriel destiné à ses troupes qui a mis le feu aux poudres : « Il est absolument proscrit de porter le masque sur la voie publique ou à l'accueil du public. Toutefois une distance d'un mètre doit être respectée entre les personnes accueillies ou contrôlées et les fonctionnaires. » Ailleurs, en Bretagne, c'est un chef d'état-major de la sécurité publique qui relève que le port du masque « peut être anxiogène ».
En tout cas, pour beaucoup de policiers, l'évolution de la crise rend caduque les instructions sur un port du masque de protection uniquement en cas de contact avec une personne contaminée. « Le dépistage ne se fait plus que pour les cas les plus graves de cette maladie, du coup personne ne sait qui est contaminé, ni dans les rangs des forces de l'ordre, ni au sein de la population » s'insurge David le Bars, secrétaire général du Syndicat des commissaires de la police nationale (SCPN). Et le responsable syndical de constater que tous policiers dans les pays européens sont dotés de masque.
A Menton, un pont seulement sépare les policiers de la police de l'air et des frontières de leurs homologues italiens. Mais seulement d'un côté, on porte le masque. « C'est incompréhensible, on est à 150 mètres de distance, on côtoie la même population, eux portent un masque et pas nous », observe amèrement Fabien, un brigadier-chef de la police aux frontières (PAF) de Menton, délégué du syndicat Alliance. « On nous demande de stopper les migrants mais on ne nous donne pas de quoi nous protéger ».
Les policiers de la PAF se sentent particulièrement exposés au coronavirus. A l'aéroport de Beauvais (Oise), Stéphane, brigadier, a accueilli des Français rapatriés d'Espagne. « On a mis nos masques pour accueillir ces vols sensibles, mais aussitôt on nous a demandé de les retirer. Cela n'a aucun sens. »