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L'ancien PDG de TF1 Patrick Le Lay est décédé

Il serait réducteur de ne retenir de Patrick Le Lay que sa phrase choc et maladroite sur « le temps de cerveau disponible ». « Ce que nous vendons à Coca-Cola, c'est du temps de cerveau humain disponible » avait-il déclaré en 2004 alors qu'il était le tout-puissant président directeur général de TF1, la chaîne de télévision la plus puissante d'Europe. Patrick Le Lay définissait alors ce qu'était le modèle de son entreprise : une machine à vendre des emplacements publicitaires au milieu de programmes qui dominaient outrageusement le paysage audiovisuel français. TF1, pendant la décennie 1990 et le début des années 2000, dépasse les 40 % de part de marché. À 13 heures et 20 heures, un téléspectateur sur deux regarde Jean-Pierre Pernaut, Claire Chazal ou Patrick Poivre d'Arvor. Les Miss France, le concert des enfoirés, les grands matchs de football, les fictions de « prestige » signées Pierre Boutron ou Josée Dayan, Navarro, Joséphine Ange Gardien, Les Cordier juge et flic, Une famille formidable, Coucou c'est nous, La Roue de la fortune, Sacrée Soirée et tant d'autres programmes descendent rarement sous les 10 millions de fidèles. Tout ce qui est mis à l'antenne marche et ce qui ne marche pas est si habilement escamoté que personne ne le voit. TF1 écrase alors le marché publicitaire avec plus de la moitié des investissements. Une situation unique au monde !
 
Aux manettes de cet empire un saltimbanque et un géomètre. Étienne Mougeotte et Patrick Le Lay décédé à l'âge de 77 ans. Fils d'un prof de mathématique de Saint-Brieuc, il est à la fois un cartésien rigoureux attiré par les voyous et les paillettes, un catholique fervent joueur de poker, un patient collectionneur de timbres et de vieux livres au caractère volcanique, un manager brutal fidèle en amitié, un identitaire Breton anti-européen, mais curieux du monde et des autres. Capable de créer TV Breizh, afin de faire rayonner la culture régionale, tout en abreuvant la grille (ad nauseam) de séries américaines. Un patron sans cesse en quête d'innovations, mais qui rate le virage (si stratégique) de la TNT. Un homme tissé de contradictions assumées qui le rendaient à la fois pragmatique et détonnant dans tous les milieux dans lesquels il est passé.
 
Diplômé de l'École spéciale des travaux publics, il est un brillant ingénieur des travaux publics qui intègre le groupe Bouygues en 1981 et est presque immédiatement remarqué par Francis le fondateur du futur numéro un mondial du BTP. C'est lui qui le charge de la diversification de son empire. Et donc de plancher en 1987 sur la privatisation de TF1. Les « fins observateurs » assurent que la chaîne française sera attribuée à Hachette dirigé par Jean-Luc Lagardère. À la surprise générale, grâce au discret entregent politique de Bouygues et au sérieux du dossier monté par Le Lay, c'est l'entreprise de travaux publics qui rafle la chaîne. Le Lay en devient vice-PDG puis président dès octobre 1988. La 5 de Berlusconi allonge les chèques et les promesses mirifiques pour attirer les vedettes du moment obligeant la Une à se réinventer du sol au plafond ! Trop facile pour un gars dont c'est le métier ! En moins de deux ans, TF1 est remis sur pied. Arthur, Drucker, Anne Sinclair, Dechavanne, Foucault, Morandini, Pradel, Bouvard, Hulot, Christian Morin, Thierry Roland, Dorothée, les stars de l'info, puis Courbet, Cauet, Nikos Alliagas écrasent la concurrence. Les politiques sont prêts à tout pour être invité une dizaine de minutes au 20 Heures.
 
Dans les années 1990, la méthode Le Lay/Mougeotte est simple : un programme qui ne répond pas aux objectifs d'audience (sur les 4 ans et + ainsi que sur la fameuse ménagère de moins de 50 ans) n'a pas vocation à poursuivre son aventure sur la chaîne. Des programmes seront supprimés, des animateurs sacrifiés, des idées enterrées. Le « tout pour l'audience » aura sa face sombre : des émissions racoleuses (Tout est possible, Les Marches de la gloire, Perdu de vue), une presse hostile mais cajolée et finalement obligée de s'incliner devant l'incroyable capacité de la Une à inventer de nouvelles émissions, et des humoristes déchaînés contre la première chaîne d'Europe (Les Guignols de l'info rebaptisant la chaîne « la boîte à cons »). Après ces tourments, TF1 prend un (léger) virage : c'est la quête de sens. Morandini est écarté et la Une bascule dans les jeux à outrance et la télé-réalité (Star Academy). La recette change, mais les plats continuent de plaire : les programmes de TF1 sont plébiscités et trustent le top audience chaque année.
 
Surpuissante sur le hertzien, TF1 se verrait bien contester la suprématie sur le satellite de Canal+. Le Lay s'associe à Nicolas de Tavernost, patron de M6, pour fonder TPS. Le cocktail est simple : du cinéma et du sport. Le nouveau venu frappe un grand coup en chipant à Canal un match de Ligue 1 et la Premier League. TPS grapille des abonnés, mais n'arrive pas à tuer Canal. En 2005, TPS se fait battre par la chaîne cryptée sur les droits du Championnat de France et la guéguerre se termine par la fusion des deux bouquets et la disparition du « bébé Le Lay ». Cette bataille au sommet a sans doute coûté cher à TF1 et assombri le bilan du Breton à la tête de son empire. Obnubilé par Canal, Le Lay oublie de miser sur la télévision numérique terrestre. « La France a-t-elle besoin d'un réseau de diffusion supplémentaire ? demande-t-il lors de son audition au CSA en 2002. Sans équivoque, non. » Mais la TNT se fera et les chaînes, qu'il avait jugées « folkloriques » lors de cette même audition, vont petit à petit grignoter les parts de marché de TF1. Les programmes de la première chaîne d'Europe s'usent, la machine se grippe. Et Martin Bouygues réagit : Patrick Le Lay puis Étienne Mougeotte, tous deux artisans du succès de la Une privatisée, sont écartés. La fin d'une époque.
 
Le tandem peut afficher un bilan plus que flatteur : création de LCI, la première chaîne française d'information en continu, un fructueux contrat avec Endemol le géant mondial de la télé-réalité qui proposera tous ces block-busters à TF1, d'autres avec les grands studios américains de cinéma, une concurrence privée de stars et de « produits », des centaines de millions d'euros de bénéfices annuels, le rachat d'Eurosport (qui sera ensuite revendue à Discovery) et de TMC…
 
Après avoir quitté l'audiovisuel, Patrick Le Lay crée avec Martin Bouygues et Artemis la holding de la famille Pinault Serendipity, un fonds d'investissement chargé de repérer quelques grosses PME à l'avenir prometteur. Il investira notamment dans les paris en ligne et Michel et Augustin, une marque française de produits alimentaires. De 2010 à 2012, Le Lay sera également président du Stade Rennais avant de s'éloigner progressivement du monde des affaires pour se consacrer à la passion de sa vie, la mise en valeur de la culture bretonne. Mi-sérieux, mi-provocateur, il déclarait souvent en petit comité : « Je ne suis pas français, je suis breton. Je suis un étranger quand je suis en France. » Son rêve secret et souvent murmuré était que la région Bretagne obtienne un statut à part, ressemblant à celui des Länder allemands ou des régions italiennes. Il multiplia les démarches au plus haut sommet de l'État. Sans succès, mais avec un enthousiasme de jeune homme et un sérieux de capitaine d'industrie. Des qualités rarement alliées qui l'habitèrent pourtant jusqu'à son dernier souffle.
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