Pour de nombreux lecteurs, la cause est entendue : « Le Monde » et « En marche ! » font cause commune. L’entourage du candidat pense le contraire. Qui dit vrai ? La réponse de Franck Nouchi, médiateur du « Monde ».
De mémoire de journaliste du Monde – trente-deux ans de maison en ce qui me concerne –, nous ne nous étions jamais trouvés dans une telle situation : être, à ce point, à la fois suspectés de « rouler » pour un candidat – Emmanuel Macron – et de vouloir à tout prix le mettre en difficulté. Par-delà les polémiques, les maladresses et les procès d’intention, François Mitterrand, Edouard Balladur, Lionel Jospin, pour ne citer qu’eux, n’avaient jamais suscité pareille dichotomie. Comment comprendre ?
Je mets volontairement de côté les courriels, nombreux, dont le seul objet est de prendre parti pour ou contre Emmanuel Macron. Seules les mises en cause du Monde m’intéressent ici. Elles sont pour l’essentiel de deux ordres.
D’une tonalité plus sereine et moins « complotiste » que bien d’autres, le courriel de Renaud Paput résume assez bien le propos de ceux d’entre vous qui nous reprochent de faire preuve d’un coupable soutien à l’égard du candidat d’En marche ! En découvrant la manchette du Monde (daté 3 mars) – « Macron veut importer le modèle scandinave » –, ce lecteur a « cru percevoir une prise de position implicite du journal » en faveur de ce candidat. « Il est évident pour tout le monde, dit-il, que le “modèle scandinave” est une bonne chose, mais je ne suis absolument pas convaincu que ce candidat veuille embrasser toutes ses composantes. Et, donc, extrapoler ainsi permet de donner une bonne image de lui sans l’écrire précisément. Vous ne mentionnez que les composantes socio-économiques : pour définir un modèle, c’est court. »
« En cherchant un peu, j’ai vu qu’un des propriétaires du Monde, Pierre Bergé, s’était affiché en soutien d’Emmanuel Macron. J’avais déjà entendu parler de vos positions pour Balladur dans ma jeunesse, mais je ne voulais y croire. Ces alertes font sens avec des soupçons que j’avais déjà eus par le passé (mais que je ne saurais dater) quant au traitement particulier de l’ultralibéralisme dans vos pages. Par conséquent, je voulais, en tant qu’abonné mais aussi professeur d’histoire-géographie (je propose souvent à mes lycéens des articles du Monde), je voudrais savoir si Le Monde est devenu un journal d’opinion. Je ne le conteste pas, c’est votre droit, mais l’honnêteté intellectuelle et surtout la déontologie dicteraient de le rendre public. Je pourrais ainsi le transmettre clairement à mes élèves afin qu’ils exercent leur esprit critique et donc leur liberté d’opinion. »
En sens inverse, les critiques nous accusant de présenter Emmanuel Macron sous un jour par trop négatif sont le fait, pour l’essentiel, soit de militants d’En marche ! soit de membres de l’entourage proche du candidat. Des articles titrés « Emmanuel Macron, l’homme sans programme » (Le Monde du 4 octobre 2016) ou encore « Après une semaine compliquée, Emmanuel Macron marque le pas » (Le Monde du 22 février 2017) sont particulièrement visés.
« Des critiques allant dans des sens aussi opposés, cela aurait plutôt tendance à me rassurer », confie Cédric Pietralunga. Chargé de la couverture de la campagne d’Emmanuel Macron, il assure que ce dernier « ne bénéficie d’aucun traitement particulier ». « Nous traitons Emmanuel Macron comme n’importe quel autre candidat, confirme Caroline Monnot, l’une des deux chefs du service Politique. Notre rôle, au service Politique, est à la fois de raconter la campagne et de décrypter les programmes. En clair, de donner au lecteur le maximum d’informations de manière à éclairer le mieux possible son vote. »
Tout autre est le rôle des chroniqueurs, comme Françoise Fressoz, Gérard Courtois ou Arnaud Leparmentier, qui, eux, sont libres de donner leur point de vue. En toute subjectivité s’ils le souhaitent.
« Le service Politique ne roule pour personne, ajoute Caroline Monnot. En revanche, c’est à nous qu’il revient de pointer les dynamiques lorsqu’elles surviennent, mais aussi les trous d’air, les erreurs stratégiques, les aberrations programmatiques, etc. Nous le faisons pour Emmanuel Macron comme pour tous les autres candidats importants. »
Cela dit, il est exact que l’un de nos actionnaires, Pierre Bergé, a pris parti pour ce candidat, en particulier dans un tweet ainsi rédigé : « J’apporte mon soutien sans la moindre restriction à Emmanuel Macron pour être le président qui nous conduira vers une social-démocratie. » « Nos actionnaires sont libres de leurs prises de position, dit Jérôme Fenoglio, directeur du Monde, mais celles-ci n’engagent en rien notre rédaction. Je suis le garant de cette indépendance éditoriale : elle est totale. La déclaration de Pierre Bergé n’a et n’aura aucun impact sur notre contenu rédactionnel. » « Ces tweets n’ont pas d’influence sur nous, ajoute Caroline Monnot. Ni dans un sens ni dans l’autre. Il n’est, en particulier, pas question de “flinguer” Macron à tout-va sous prétexte de cette prise de position. J’ajoute que je préfère largement ce genre de soutien public à je ne sais quel coup de fil clandestin destiné à faire pression sur nous. »
Qu’en est-il alors de la nature du Monde ? Est-il un journal d’opinion ? « Non, assure Luc Bronner, directeur de la rédaction. Les opinions des uns et des autres ne l’emportent jamais sur les impératifs journalistiques. L’information prime toujours. Ce qui ne nous empêche évidemment pas de défendre un certain nombre de valeurs, telles que la défense des libertés publiques, la justice sociale ou l’avènement d’un projet européen ambitieux – des valeurs en opposition avec ce que défendent Marine Le Pen et le Front national. »
Une dernière chose : pour bien les connaître, je peux dire ici que les journalistes du service Politique du Monde sont, d’abord et avant tout, des journalistes rigoureux. Vous ne les verrez que très rarement sur les plateaux de télévision se livrer au petit jeu des commentaires à chaud ; ils ne vous expliqueront jamais comment il faut voter. Très expérimentés pour la plupart, imperméables à la courtisanerie, ils travaillent dans une totale indépendance. Aux candidats et à leurs entourages, dès lors, de leur faire bon accueil. Au risque de voir publier plus tard un papier qui ne leur plaira pas.
Sachez enfin que vous êtes nombreux à nous féliciter pour la couverture de cette campagne électorale. « J’apprécie énormément votre indépendance et votre liberté d’esprit », écrit ainsi Anne-Marie Graffin (Pontoise). Puisse cette lectrice instiller le doute dans l’esprit des complotistes de tout poil qui nous imaginent inféodés à je ne sais quelle officine.