Nommée dans 7 catégories, la pièce "Edmond" a été honorée par cinq Molières ce lundi. "Les Damnés" en remporte, quant à elle, trois.
C'est le grand rendez-vous annuel des professionnels du théâtre. Edmond d'Alexis Michalik, qui triomphe depuis septembre au théâtre du Palais-Royal, et Les Damnés d'après Visconti se taillent sans surprise la part du lion aux Molières, diffusés sur France 2 depuis le théâtre des Folies-Bergère lundi soir. Retrouvez le palmarès de la soirée :
C'est le "wonder boy" du théâtre privé : Alexis Michalik, 34 ans, remporte 5 Molières pour sa fresque bouillonnante sur la gestation de Cyrano de Bergerac d'Edmond Rostand. Avec 12 acteurs sur scène, Alexis Michalik, déjà lauréat de plusieurs Molières pour ses pièces précédentes (Le Porteur d'Histoire, Le Cercle des illusionnistes), restitue à la fois la faconde du Gascon et le "making off" de ce monument de la littérature française, avec sa célèbre tirade du nez. Alexis Michalik, joli garçon au regard bleu pétillant, aime raconter des histoires à tiroir, où quelques acteurs fidèles se démultiplient en une foultitude de personnages hauts en couleur. Il remporte le Molière du meilleur auteur francophone vivant, du meilleur spectacle et du metteur en scène de théâtre privé. Deux de ses acteurs, Guillaume Sentou et Pierre Forest, décrochent aussi un Molière.
L'adaptation glaçante du scénario du film de Visconti (1969), véritable choc au dernier Festival d'Avignon avant sa reprise salle Richelieu à la rentrée, remporte trois Molières (meilleure pièce de théâtre public, meilleure création visuelle et meilleure comédienne pour Elsa Lepoivre). La descente aux enfers d'une grande famille d'industriels allemands gangrenée par le nazisme a été "écrite dans les années 60 mais résonne peut-être d'autant plus aujourd'hui", a souligné Ivo Van Hove. "Dans un monde qui devient de plus en plus nationaliste, Les Damnés sont comme un feu rouge." Outre Elsa Lepoivre, magnifique en mère vénéneuse dans Les Damnés, Anna Cervinka de la Comédie-Française est nommée révélation féminine pour ses rôles dans Les Enfants du silence et Vania. La Comédie-Française, en plein renouveau sous la houlette d'Éric Ruf, totalisait 12 nominations cette année pour trois pièces (Les Damnés, Les Enfants du silence et Le Petit-maître corrigé). Éric Ruf a confié qu'une nouvelle collaboration avec Ivo Van Hove était à l'étude.
Le classique mis en scène par Catherine Hiégel au théâtre de la Porte-Saint-Martin avec le duo Bacri-Jaoui a converti aux alexandrins de Molière un large public et décroche deux nominations, grâce à Jean-Pierre Bacri, en mari pleutre et bougon (meilleur comédien de théâtre privé) et Évelyne Buyle, impayable en Bélise, qui remporte le Molière du second rôle féminin.
Surprise : c'est James Thierrée, auteur de pièces inclassables entre cirque et poésie et petit-fils de Charlie Chaplin, qui emporte le prix du meilleur metteur en scène pour La grenouille avait raison, qui n'était pourtant pas son meilleur spectacle. Catherine Arditi reçoit des mains de son frère Pierre Arditi le Molière de la meilleure comédienne de théâtre privé pour Ensemble. Le fulgurant Réparer les vivants formidablement interprété par Emmanuel Noblet d'après le roman de Maylis de Kerangal emporte le prix du seul en scène. Le truculent Bigre de Pierre Guillois méritait amplement son Molière de la comédie, tout comme le très poétique Dormir 100 ans de Pauline Bureau pour le Molière du jeune public.
On regrette que La Garçonnière, adaptation savoureuse du film de 1960 de Billy Wilder The Appartment, nommée 6 fois, reparte bredouille. 2666, la fresque ambitieuse de l'écrivain chilien Roberto Bolaño mise en scène par Julien Gosselin, ne remporte pas de prix, tout comme la vibrante Traviata chantée et jouée par Judith Chemla. La cérémonie orchestrée par Nicolas Bedos aux Folies-Bergère était retransmise en léger différé sur France 2 en deuxième partie de soirée après Fleur de Cactus, le triomphe du théâtre privé de la saison précédente, repris actuellement au théâtre Antoine avec Catherine Frot et Michel Fau.
La comédienne Isabelle Huppert, à peine rentrée de Cannes où elle présidait la soirée anniversaire des 70 ans du festival, a reçu un Molière d'honneur. Moulée dans une robe de dentelle argent, l'actrice a reçu son prix des mains du metteur en scène flamand Ivo Van Hove, devant une salle debout, où figurait en bonne place la ministre de la Culture Françoise Nyssen. "Elle se permet d'être nue, vulnérable, fragile (...) quand elle joue il me semble qu'elle est au cœur d'un ouragan où tout est silence", a déclaré Ivo Van Hove en lui remettant le prix. "Ça dure depuis des siècles, c'est unique, depuis avant les Grecs on s'est réunis, et je pense que le théâtre, ça va durer encore comme ça des siècles", a lancé l'actrice. Elle a apporté son soutien au metteur en scène russe Kirill Serebrennikov, inquiété par les autorités russes pour une affaire de détournement présumé de fonds publics. Parallèlement à une carrière d'actrice bien remplie, Isabelle Huppert joue régulièrement au théâtre, y compris à l'étranger. Elle était à l'affiche du théâtre de l'Odéon ces trois dernières années, dans Les Fausses Confidences mises en scène par Luc Bondy (2014-2015) et dans Phèdre(s) (2016).