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Christine Angot s'explique : “J’en ai assez qu’on demande aux femmes de revendiquer la souffrance”

Le vif échange entre l’ex-élue EELV Sandrine Rousseau et Christine Angot sur le plateau d’“On n’est pas couché” a déjà fait couler beaucoup d’encre. Pour “Télérama”, l’écrivain donne sa version des faits.
 
C’était le jeudi 28 septembre, lors de l’enregistrement de l’émission de Laurent Ruquier, On n’est pas couché. Sandrine Rousseau, ex-secrétaire nationale du parti EELV, est sur le plateau pour évoquer le livre Parler (éd. Flammarion), dans lequel elle incite les femmes victimes de harcèlement ou d’agressions sexuelles à prendre la parole. Chroniqueuse dans l’émission, elle-même victime d’inceste, Christine Angot s’est opposée ce jour-là à Sandrine Rousseau. Depuis la diffusion, deux jours plus tard, sur France 2, l’écrivain s’est attiré de nombreuses critiques. Manque de compassion devant les larmes de Sandrine Rousseau, manque de solidarité féminine, a-t-on lu et entendu. Mais Christine Angot a aussi sa version des faits.
 
Comment avez-vous réagi lorsque Laurent Ruquier et Catherine Barma vous ont proposé d’être chroniqueuse ?
 
J’ai beaucoup hésité. Quand on me sollicite ainsi, mon réflexe est toujours le recul. Ce n’est pas mon travail. Mon travail, je le fais seule chez moi. Mais j’ai senti une sincérité dans leur proposition. On ne nous demande pas, à Yann et à moi, d’être des spécialistes de tout. J’ai bien réfléchi, pendant dix jours je n’ai pensé qu’à ça, et j’ai accepté. Je savais que ce serait difficile, mais j’avais envie d’y arriver. Avec les mots, j’ai la conviction qu’on peut se faire comprendre. Est-ce que, dans une émission grand public où il est question de politique, de culture, donc de choses essentielles, c’était possible de parler à sa manière ?
 
Quelle est votre « manière » ?
 
Je ne saurais pas la décrire. Depuis que j’ai commencé cette émission, je ne me suis pas regardée. Mais je me suis déjà vue à la télévision, et il m’est arrivé d’en être presque gênée, car en me voyant je constatais que je ne faisais pas comme les autres.
 
Quand on veut dire quelque chose, on passe par des figures imposées. A la télévision ou ailleurs. Les humoristes disent beaucoup de choses, par exemple, mais ils sont dans la figure de la blague. Ce n’est pas un rapport direct aux mots. Pour les journalistes, le code est la neutralité. Les politiques ont le discours, la langue de bois. Grâce à ces différents codes, on n’est jamais heurté par ce qui se dit. Puisque, du coup, on n’entend pas vraiment. Moi qui ne suis ni journaliste, ni humoriste, ni politique, je me demandais s’il m’était quand même possible de parler à la télévision. Nous sommes des êtres parlants, pas des êtres récitant des discours. Quand on produit un discours, le consensus n’est pas rompu. Au contraire, on est « tous ensemble ». Alors que la phrase littéraire, le texte, rompt le consensus. Et cela, que l’écrivain raconte quelque chose d’autobiographique ou pas. Derrière les phrases, derrière le texte, il y a quelqu’un, une vie, une personne vivante, et unique.
 
Racontez-nous ce qui s’est passé lors de l’enregistrement, face à Sandrine Rousseau ?
 
Quand j’ai lu son livre, j’ai vu que Sandrine Rousseau était sur une ligne que je ne partage pas du tout. Je me suis dit « c’est bien, il sera possible d’en parler ». Personnellement, j’en ai assez qu’on demande aux femmes de revendiquer la souffrance. Une souffrance toujours rapportée au travail, aux tâches ménagères, aux enfants qu’il faut faire garder, au sexe, à la séduction, à l’âge, on n’en peut plus. Ou la féminisation des noms communs qui croit lutter contre la domination masculine, comme si le rapport à la langue n’était pas universel. Les femmes, il y a quand même autre chose à en dire ! Autre chose à dire que : comme c’est dur d’être une femme ! Pour ce qui est de l’agression sexuelle, ou du viol, c’est une souffrance d’autant plus grande qu’elle se double d’un déshonneur. Moi, quand je l’ai vécu, j’aurais préféré être morte que de le vivre. Je dis simplement que revendiquer un statut de victime n’est pas une ambition.
 
Je me souviens, quand j’étais petite, de la joie intense que j’avais d’être une fille. Cette joie, je l’ai toujours. Pourquoi le fait d’avoir une identité féminine doit toujours nous être renvoyé comme un problème ? C’est tellement gai d’avoir cette identité féminine, et cette joie, qui ne doit rien aux hommes. Je n’ai pas besoin qu’on m’aide à être une femme. Quant à l’expression, utilisée par Sandrine Rousseau, « des gens formés pour recueillir la parole », pour aider les femmes agressées, non, ce n’est pas ça qui aide. Ce que je conteste, c’est le choix du système, des procédures, des formats, des schémas. C’est ce que je veux dire par : « on se débrouille », en réponse à « comment on fait ? ». On se débrouille. On ne nous laisse pas le choix. Il ne faut pas « aider » les gens, ce n’est pas assez, il faut les sauver. Le lien qui se crée avec un psychanalyste peut sauver. Car une grande souffrance n’est jamais strictement personnelle, et la psychanalyse le sait, ça.
 
Sandrine Rousseau est plutôt dans un discours politique et sociologique, et c’est cela que vous cherchiez à dire sur le plateau, face à elle ?
 
Oui, un discours sociologique, politique, un discours de pouvoir, ce n’est pas parce qu’elle y mêle du biographique que ça change quoi que ce soit. Elle n’a pas déserté pour autant cette volonté de pouvoir, le choix du progrès à travers la politique.
 
Dans son livre, elle parle d’Une semaine de vacances, et elle dit : « Ce livre dicté par la souffrance… » C’est ne rien comprendre. C’est un livre dicté par la joie de trouver les mots qui montrent comment c’est. C’est tout. Je vis cette chose, puis je la comprends, et je comprends ensuite que l’inceste n’est pas compris, pas vu tel qu’il est. Je décide de faire un texte littéraire, qui fait qu’on voit. Mais non, le voilà réinjecté dans son discours sociologique à elle, celui du consensus. C’est de la surdité… On a l’habitude de ça quand on est écrivain, la plupart des journalistes font ça. Tout le monde trouve ça normal. Pour une fois, j’ai fait l’inverse.
 
C’est ce désaccord avec elle qui vous a fait quitter le plateau ?
 
Absolument pas. Je commençais à parler, et j’ai entendu des huées, à plusieurs reprises. A la télévision, il y a du public et un chauffeur de salle pour l’ambiance. Mais les huées se sont reproduites, je ne pouvais plus parler, ma tête s’est vidée. Je n’y arrivais plus, alors pourquoi rester sur le plateau ? A ce moment-là, je me suis dit que je quittais l’émission. Définitivement. Je ne suis pas là pour y occuper une place, je m’en moque. Et c’est Catherine Barma, la productrice, qui est venue me voir, j’étais retournée dans ma loge, dans un état de détresse, en larmes. Et c’est elle qui m’a convaincue que je pouvais retrouver mon calme, ma concentration.
 
Vous a-t-on fait venir dans l’émission dans l’espoir que se produisent ce genre de scènes ?
 
De toute façon, même s’ils le voulaient, ça ne se fabrique pas. Je ne peux pas dire pourquoi ils sont venus me chercher, mais je suis en confiance avec eux.
 
N’avez-vous pas le sentiment d’être critiquée quoi que vous fassiez ?
 
Je n’ai pas envie de me poser cette question. Mais l’inceste, ça stigmatise de toute façon. Dans cette émission ou ailleurs, dans ce que je dis, il n’y a rien d’extravagant, rien de scandaleux, rien qui ne puisse être entendu. Face à François Fillon, pareil, je n’ai rien dit qui n’avait pas été déjà exprimé dans la presse. Mais au moment où je le dis, on voit que j’y adhère complètement, je suis dans les mots. Ma parole et moi, ce n’est pas séparé, c’est pour ça qu’on entend ce que je dis. C’est toujours le style d’un écrivain le problème : c’est ce qui fait qu’on va entendre les choses qui sont dites. C’est peut-être ça, ma manière.
 
Regrettez-vous ce qui s’est passé ?
 
Je ne peux pas regretter. C’est de la télévision, il n’y a pas de répétition, il y a un risque, même s’il y a un montage après l’enregistrement. C’est comme ça, c’est un moment. D’ailleurs, j’ai le trac deux heures avant d’y aller. Mais c’est aussi pour cela que j’aime bien la télévision, le côté immédiat, rapide. J’aime tous les endroits où l’on peut parler, un scénario de film, un plateau de théâtre, un studio de télé, il n’y a pas de différence radicale à mes yeux. La question est toujours : quelles phrases peut-on faire ? Quelle parole peut être dite ?

Elle ne va pas rester longtemps dans le programme...

Sinon, elle reste vraiment conne sur le fond... Si ça fait du bien d'en parler... Faut arrêter toujours de ramener à soi...

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