Les Paradise Papers révèlent que, pendant dix-huit ans, le réalisateur Jean-Jacques Annaud aurait soustrait au fisc une partie de son patrimoine via un trust domicilié aux Iles Caïman. Il y abritait une part de recettes de films à succès depuis "Sept ans au Tibet". Le cabinet Appleby a géré ce trust à partir de 2006.
En 1997, Jean-Jacques Annaud vient de réaliser le film Sept ans au Tibet, qui retrace le parcours de l’alpiniste autrichien Heinrich Harrer au Tibet de 1944 à 1951 avec Brad Pitt en tête d’affiche. Le film cartonne et rapporte plus de 110 millions d’euros au box-office mondial.
À peine dix jours avant la sortie du film aux États-Unis, Jean-Jacques Annaud crée Los Condores Trust, un trust discrétionnaire, aux Îles Caïman. Nous sommes le 30 septembre 1997. De cette structure juridique, les journalistes de la Cellule Investigation de Radio France ont trouvé de nombreuses traces dans les Paradise Papers rassemblés par l'ICIJ, le consortium international des journalistes d'investigation.
On y découvre Jean-Jacques Annaud dans le rôle du "settlor", le constituant du trust, et la Royal Bank of Scotland Trust Company Limited (Guernesey) dans celui du "Trustee initial", chargé de contrôler les biens du réalisateur. L’avocat fiscaliste de Beverly Hills Michael T. y occupe le rôle du "protector", chargé de contrôler le trustee, tandis qu'aux membres de la famille Annaud (femme et enfants) est dévolu le rôle des "bénéficiaires".
Ce mécanisme permet à Jean-Jacques Annaud de placer son argent tout en se tenant à distance des radars du fisc français… Le trust, habile mécanisme financier, permet d’établir un écran entre le détenteur du patrimoine et ce patrimoine. En d’autres termes, les biens du trust constituent une masse distincte et ne font plus partie du patrimoine du settlor.
En confiant la gestion de ces sommes au "trustee", Annaud s’assure une discrétion absolue. À sa création, le trust contient 1 000 dollars, soit à peine 900 euros.
Mais, le jour même de sa création, l’administrateur du trust autorise le versement d’une action de la société Uspallata Limited (anciennement Aislaby Limited), immatriculée aux Iles Vierges britanniques. "Uspallata", du nom du petit village des Andes argentines où Jean-Jacques Annaud a choisi de tourner Sept ans au Tibet, les autorités chinoises lui ayant refusé l'accès aux sommets himalayens.
Surprise : cette drôle de société n’est en réalité constituée qu’une seule action, et elle appartient à Monsieur Annaud, via Los Condores Trust. Dans le bilan comptable de Los Condores pour la période 2001-2005, révélé par Radio France dans le cadre de l’enquête des Paradise Papers, on apprend que "Uspallata Limited" est détenue à 100% par le trust.
Les Paradise Papers mettent également en lumière via un document de 2008 les montants que renferme Uspallata : 1,5 million de dollars, soit plus d’1,2 million d’euros.
C’est en 2006 que Jean-Jacques Annaud s'en remet à l'expertise fiscale des juristes d’Appleby.
Dans une lettre découverte parmi les documents des Paradise Papers, Michael T., qui gère jusqu'alors le trust des Annaud via la Royal Bank of Scotland, encourage Appleby à prendre le relais dans la gestion du trust. Son meilleur argument de "vente" ? La fortune estimée à "plusieurs millions de dollars" de son client : "Ces dernières années, nous avons géré les biens de Monsieur Annaud, estimés à plusieurs millions de dollars ; le cachet classique pour la réalisation d’un film s’élevant en moyenne à 5 millions de dollars."
Jean-Jacques Annaud est également soutenu par sa banque américaine, la City National Bank. La vice-présidente, Marie D., envoie à son tour une lettre de recommandation à Appleby, pour soutenir son "client VIP". On y apprend notamment que Jean-Jacques Annaud "détient plusieurs comptes à cinq chiffres à la City National Bank depuis 1996"…
La confiance règne : le trust des Iles Caïman est désormais géré par l’équipe d’Appleby, qui dispose d’un bureau sur place. Dans les Paradise Papers, on découvre encore que le 4 novembre 2008, Jean-Jacques Annaud fait une demande de virement d’un montant de 100 000 dollars, transférés sur son compte américain de la City National Bank.
En 2015, dix-huit ans après Sept Ans au Tibet, qui lui a valu les foudres du gouvernement de Pékin, on retrouve Jean-Jacques Annaud en Chine. Il y vit durant quatre années pour préparer et tourner Le Dernier Loup, coproduction franco-chinoise, adapté du grand succès littéraire du chinois Jiang Rong Le Totem du loup. A peine quelques mois après la sortie du film sur les écrans français (février 2015), le réalisateur va rapatrier plus de 1 million d’euros dans une nouvelle société… à Hong Kong, autre destination offshore qui offre de solides avantages fiscaux.
Le 7 octobre 2015, Michael T., le gestionnaire du trust de M. Annaud, envoie un courrier à Fiona C. du cabinet Appleby aux Iles Caïman, pour lui demander d’effectuer un virement un peu particulier : 1,33 million de dollars à la société Gingko Holdings Limited (anciennement Rising Dragon Limited). Il précise également dans sa lettre que "le reste des fonds seront transférés sous peu à Calico Entertainment LLC, à Los Angeles"… soit la société de production que possède Jean-Jacques Annaud en Californie, elle-même filiale d'une société-mère de même nom, enregistrée… au Delaware, le paradis fiscal des États-Unis.
Dans la foulée, le cabinet Appleby entreprend la liquidation de Los Condores aux Iles Caïman. Ce transfert d’un paradis fiscal à un autre intervient juste au moment où Jean-Jacques Annaud entame un nouveau projet franco-américain… Il s’attaque au best-seller de Joël Dicker, La Vérité sur l’affaire Harry Québert, et a débuté durant l'été 2017 le tournage de ce qui deviendra une série en dix épisodes. De nouvelles perspectives de succès pour le réalisateur…
Une fois informé par courrier de notre enquête, Jean-Jacques Annaud a mandaté un cabinet d'avocats fiscalistes parisien. Ce dernier a alors immédiatement contacté la cellule de régularisation de Bercy. Monsieur Annaud n'a en effet jamais déclaré au fisc français les avoirs qu'il possède dans des paradis fiscaux, alors qu'il s'est toujours considéré comme résident fiscal en France. Selon ses conseillers, Jean-Jacques Annaud ne maîtriserait pas les arcanes de la fiscalité. Des cabinets anglo-saxons l'auraient encouragé à créer ce trust. Cependant, on est en droit de penser que Bercy ne saurait toujours rien de ses avoirs à l'étranger.