Une trentaine de militants de Aides, l'association de lutte contre le sida, se sont symboliquement allongés jeudi devant les locaux de l'Office français de l'immigration et de l'intégration à Paris pour protester contre les mesures d'expulsion d'étrangers séropositifs.
"Aux morts-es du sida, la patrie indifférente". Vêtus de noir, défilant sur l'air de la "Marche funèbre" de Chopin devant un véhicule noir figurant un corbillard, une trentaine de militants Aides ont manifesté ce jeudi dans le XVe arrondissement de Paris pour dénoncer les mesures d''expulsions des migrants séropositifs.
Le petit groupe s'est rendu à pied devant l'Office français de l'immigration et de l'intégration (Ofii) où ils ont déposé une gerbe ainsi qu'une fausse plaque commémorative et fait un "die-in".
Plusieurs militants, dont Nicole, sont restés debout. Elle se tient devant le large bâtiment de l'Ofii. Cette femme de 59 ans, militante à Aides et séropositive, est arrivée du Cameroun il y a 18 ans. "Vingt ans après ce que j'ai vécu, on revit la même chose aujourd'hui, souffle-t-elle face au 'die-in' organisé devant l'Ofii. C'est même pire".
Pendant quatorze ans, Nicole a connu la galère. "Je ne peux pas compter le nombre de fois où je suis allée à la préfecture pour renouveler mon titre de séjour avec ma valise remplie de feuilles d'impôts que je paye en France." Elle obtient finalement un titre de séjour permanent en 2014. "A l'époque je vivais avec l'espoir que j'aurais un titre au bout du chemin. Aujourd'hui, on vit en pensant que l'on n'aura pas de titre de séjour à la fin".
Pour Nicole, tous les étrangers malades doivent être régularisés. "C'est le combat de ma vie", assure-t-elle. Aujourd'hui, je suis à la fois émue car ça me rappelle des choses et je suis en colère car je vois tout ce qu'on a fait, et j'ai l'impression que c'est inutile. On recule. Et de conclure sèchement : "Il n'y a aucune humanité dans ce qui se passe en France en ce moment".
Avec l'adoption de la loi Chevènement en 1998, un étranger gravement malade peut bénéficier d'un titre de séjour à la condition de ne pas avoir accès à des traitements disponibles dans son pays d'origine.
Mais depuis le 1er janvier 2017, la procédure d'évaluation médicale est passée sous l'égide de l'Ofii, dépendant du ministère de l'Intérieur, alors qu'elle relevait auparavant des Agences régionales de Santé (ARS), rattachées au ministère de la Santé. Un transfert qui avait suscité l'opposition des associations de défense des étrangers.
Interrogée par LCI, la directrice du plaidoyer chez Aides, Adeline Toullier dit être venue pour "alerter l'opinion publique et l'Etat sur la gravité de la situation concernant les étrangers malades, concernés par le droit au séjour pour raison médicale, qui n'ont pas la possibilité d'accéder au traitement dans leur pays d'origine". Aides affirme avoir recensé 23 cas d'étrangers séropositifs s'étant vus refuser l'obtention ou le renouvellement d'un titre de séjour entre mars 2017 et aujourd'hui, contre 4 en 2016. "C'est complètement inédit et on a l'impression que tout ça s'opère avec une légèreté absolue". "Les raisons invoquées - pour justifier ce refus - sont ubuesques", lâche Adeline Toullier. Le plus souvent, c'est parce que l'accès au traitement est possible dans le pays d'origine et que le système de santé est en capacité d’accueillir la personne". Sur le papier, ça parait simple, dans les faits beaucoup moins. La directrice du plaidoyer de Aides évoque un cas en particulier, celui d'une femme camerounaise dont les médecins estiment que son état de santé - elle est séropositive - ne nécessite pas de "prise en charge médicale". Une déclaration a minima étonnante lorsque l'on sait qu'une personne séropositive non traitée peut, à terme, contracter la maladie du sida et en mourir.
En janvier 2017, le ministère de la Santé avait assuré dans un arrêté que les nouvelles procédures de délivrance des titres de séjour aux étrangers malades se feraient dans le respect des "règles déontologiques communes à tout médecin" et du secret médical. Le texte précisait que "l'avis communiqué au préfet par le collège des médecins de l'Ofii ne comporte aucune information couverte par le secret médical" ni "aucun élément susceptible de révéler la pathologie du demandeur".