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Danièle Thompson : "Rabbi Jacob, on savait que c’était de la dynamite"

Jusqu’au 31 juillet, date de l’inauguration du musée De-Funès à Saint-Raphaël, Var-Matin publie une série d’entretiens avec ceux qui ont côtoyé la star. Ce samedi : Danièle Thompson.

Dans le jardin de la Villa "Les Oliviers", à Saint-Tropez, les lauriers exhalent leur parfum sous la canicule.
 
En robe d’été, détendue, Danièle Thompson ressuscite l’épopée des quatre chefs-d’œuvre que son père, le réalisateur Gérard Oury, a tourné avec Louis de Funès.
 
Des films auxquels elle a participé, soit sans être créditée au générique (pour Le Corniaud), soit en cosignant le scénario (La Grande vadrouille, La Folie des grandeurs et Les Aventures de Rabbi Jacob).
 
Vous vous souvenez de votre première rencontre avec Louis ?
 
C’était sur le tournage de Du Guesclin. J’avais six ou sept ans et je venais voir mon père qui jouait le roi de France – vous imaginez l’effet sur la petite fille que j’étais… Louis tenait un tout petit rôle, avec un accent espagnol épouvantable [Elle rit]. Je l’ai revu, bien plus tard, sur le tournage du Corniaud, dans les jardins de la Villa d’Este à Tivoli.
 
Votre première impression ?
 
Un homme charmant, très calme, d’une grande gentillesse. Aux antipodes des personnages qu’il a interprété au cinéma.
 
Était-il drôle dans la vie ?
 
Très drôle ! Mais d’une façon différente ; il était pince-sans-rire. J’ai eu l’occasion de mieux le connaître vers la fin des années soixante. Avant de faire construire sa villa à Saint-Tropez, mon père louait chaque été une maison dans le Var. Louis et Jeanne, son épouse, nous ont rejoints pour quelques jours de vacances. C’est un souvenir vraiment délicieux…
 
Votre père et Louis étaient vraiment amis ?
 
Oui. Les liens s’étaient noués dans le cadre du travail, mais ils allaient bien au-delà d’une simple collaboration professionnelle. Ils riaient des mêmes choses, ils étaient complices et se faisaient totalement confiance.
 
Il a été écrit que De Funès, après son infarctus en 1975, a reproché à Gérard Oury son "silence radio"…
 
Ah bon ? Vous m’étonnez. Je n’ai jamais eu connaissance d’un coup de froid dans leur relation.
 
Le fait est qu’après son accident cardiaque, ils n’ont plus jamais tourné ensemble…
 
C’est autre chose. Les films de Gérard réclamaient une énergie que Louis ne pouvait plus déployer. Sa santé était extrêmement fragile ; il se serait mis lui-même en danger. Et mon père le savait… [Un silence] Il en a énormément souffert.
 
En 1975, De Funès et Oury préparaient un film qui n’a jamais vu le jour : Le Crocodile…
 
J’ai énormément ri avec mon père en écrivant ce scénario. C’est l’histoire d’un dictateur d’extrême droite victime d’un coup d’état, qui parvient à reconquérir le pouvoir… en créant une dictature d’extrême gauche ! [Elle sourit] Vous imaginez ce que Louis aurait pu faire d’un tel personnage.
 
Le projet est ressorti plusieurs fois des cartons…
 
Oui. D’abord à la fin des années soixante-dix, avec Peter Sellers… qui est décédé peu avant la date prévue pour le tournage. Puis avec Louis, décédé quelques mois après en avoir reparlé avec Gérard. Il y a eu Coluche aussi… Finalement, j’ai interdit à mon père de tourner ce film. [Elle sourit] Il y a quelque chose de maudit là-dedans.
 
Gérard Oury avait déjà été confronté au dilemme posé par le décès d’un comédien…
 
Oui, en 1970, avec La Folie des grandeurs qui devait être le troisième "Bourvil-De Funès". Sauf qu’à ce moment-là, en préparant le film, nous savions que Bourvil, gravement malade, ne pourrait pas le tourner.
 
Comment peut-on inventer des gags dans un tel contexte ?
 
On avait fini par se convaincre qu’il y aurait un miracle, qu’André pourrait malgré tout faire Les Sombres héros. Hélas…
 
Finalement, Yves Montand a remplacé Bourvil. Vous avez réécrit le scénario ?
 
Seulement le rôle de Blaze. Le personnage que devait interpréter Bourvil séduisait par sa candeur, sa gentillesse, son honnêteté ; Montand est plus proche du héros viril imaginé par Victor Hugo.
 
Deux ans plus tard, vous vous attaquez aux Aventures de Rabbi Jacob. À quel moment avez-vous senti que vous abordiez un sujet… délicat ?
 
Tout de suite ! On savait que c’était de la dynamite. À chaque scène, on était au bord du précipice. Même si le scénario a beaucoup évolué en cours d’écriture. Au départ, l’idée était de faire un film sur la communauté juive orthodoxe. Puis l’affaire de l’enlèvement de Ben Barka s’est greffée sur notre histoire. Et tout naturellement, le conflit israélo-palestinien est arrivé en sous-texte.
 
Quelles étaient vos craintes ?
 
Que le film soit perçu comme antisémite ! Heureusement, l’arrivée du grand rabbin Josy Eisenberg sur le projet nous a rassurés. Il avait énormément d’humour… et nous a évité pas mal d’erreurs grossières.
 
Quid des personnages supposément arabes ?
 
[Elle sourit] Le problème ne s’est pas posé. À l’époque, on ne mettait pas sa vie en danger en faisant une caricature. Certains dialogues (les "maramouches", les "petits yeux fielleux", "une vraie tête d’assassin") ne passeraient plus aujourd’hui. Pourtant, le film continue de faire rire dans tous les pays du Maghreb !
 
Vous vous souvenez de la première projection du film ?
 
[Elle soupire] Impossible de l’oublier. Ça se passait dans une petite salle réservée pour mon père, le producteur, le monteur, l’attaché de presse, le couple De Funès et moi. Et là… Pas un rire ! Pas un sourire ! C’était sinistre. On en est sortis complètement déprimés. Une semaine plus tard, Les Aventures de Rabbi Jacob a été projeté au Gaumont-Alesia. On n’entendait plus les dialogues tellement les gens riaient ! C’est le moment le plus magique de ma vie professionnelle.
 
Après la sortie du film, De Funès a confié que Rabbi Jacob lui avait "décrassé l’âme"…
 
Je pense que Louis portait en lui une forme de méfiance, ce vieux fond d’antisémitisme dormant qui vient de l’éducation. Depuis des générations, on enseigne aux petits catholiques que ce sont "les juifs" qui ont tué Jésus...
 
À l’époque, aucun critique n’a relevé les qualités esthétiques des films de votre père. Lorsqu’on regarde La Folie des grandeurs ou Rabbi Jacob aujourd’hui, cela semble pourtant évident ?
 
Absolument. À mon avis, c’est même la raison de la pérennité de leur succès. Mais cet aspect est mieux mis en valeur depuis quelques années.
 
Votre père n’a jamais été jaloux des scénarios à succès que vous avez offert à d’autres cinéastes ? La Boum, par exemple, qui met en scène un personnage très proche de sa propre mère ?
 
Pas du tout ! Il n’aurait pas pu mettre en scène La Boum : c’est une comédie, alors que lui faisait des films comiques. Son seul but, c’était que les spectateurs rient tout le temps. Et puis, il a pris sa revanche ; pendant que La Boum triomphait au cinéma, nous écrivions ensemble L’As des as…
 
Depuis quelques années, on entend parler d’une Rabbi Jacqueline. Où en est ce projet ?
 
Ça avance ! Je travaille avec Jul, le scénariste de Lucky Luke qui a eu l’idée originale. C’est bien une suite aux Aventures de Rabbi Jacob, mais je ne peux pas en dire davantage. Sauf une chose : si ça se fait, Henri Guybet [Salomon, N.D.L.R.] fera partie du voyage !
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