Une page Facebook a exhumé des photos de chasse en Afrique durant lesquelles un vétérinaire eurois pose à côté d’animaux morts, dont un lion et un éléphant. Les réseaux sociaux s’enflamment et la clinique vétérinaire est harcelée.
Sur sa page internet, Franck Vannier est très fier de ses exploits. Installée au Cameroun, sa petite entreprise Faro safari club propose de partir sur « une zone de chasse (70 000 hectares non clos) » équipé « maximum deux armes à canon rayé pour la moyenne chasse, et supérieure à 9 mm pour la grande chasse, et une arme à canon lisse sont autorisées par la législation », indique le site internet.
Et Franck Vannier aime à mettre en avant ses clients. Et c’est l’un de ses récits qui met aujourd’hui un vétérinaire de l’Eure sous le feu des projecteurs. Ce dont, au vu des réactions et du tombereau d’injures qui envahit les réseaux sociaux, le médecin animalier normand se serait sans doute bien passé...
C’est une page militante qui a publié, il y a quelques heures mercredi 17 juillet 2019, les premiers éléments quant à l’identité de ce vétérinaire. En quelques minutes, comme pour les anciens responsables d’un Super U, la poudre s’enflamme : la publication est partagée, encore et encore, les commentaires haineux se multiplient... L’identité du praticien, dévoilée, tourne en boucle accompagnée des coordonnées de sa clinique vétérinaire. Au standard de la clinique, la déferlante d’appels injurieux donne le ton. « Depuis l’ouverture, neuf appels sur dix, ce sont des insultes », regrette la secrétaire, contactée dès mercredi matin. Elle indique n’être au courant de rien et son impossibilité à nous mettre en relation avec son patron, « absent et injoignable ».
Une personne de la famille du vétérinaire, jointe mercredi par téléphone, confirme en tout cas que, oui, « il s’est bien rendu en Afrique et qu’il était bien question de chasse ». Mais, de ce côté-là encore, impossible de joindre l’homme cloué au pilori sur internet.
Une rapide recherche permet de retrouver de nombreuses traces de ses safaris sanglants. Le périple mortifère. Ici une gazelle, là une antilope. Ici un gnou, plus loin, un hippopotame. À chaque fois, le vétérinaire apparaît tout sourire à côté de la proie inerte. Parfois, il a encore un fusil entre les mains. Les dernières images sont encore plus frappantes. Triomphant, l’Eurois « quadra », installé depuis dix-sept ans dans sa clinique, prend la pose à côté d’un lion, le mufle sanguinolent, après une traque que le guide raconte sur le net. Une autre photo le dévoile à côté d’un éléphant, apparemment abattu également. « Un éléphant ? Ah, là, il va prendre cher », commente l’un de ses confrères, abasourdi. La situation n’a pas manqué de faire réagir au sein de l’Ordre des vétérinaires de Normandie, prévenu mercredi par Paris-Normandie. Son président, Benoît Grosfils, a également tenté de joindre le vétérinaire dans la tourmente. En vain. « C’est la première étape : l’entendre. S’il était dans la légalité – et, ça paraît dingue, mais il y a des pays où l’on peut chasser l’éléphant ! -, nous ne pouvons rien dire. Après, c’est sa réputation qui en prend un coup surtout. » En revanche, le code de déontologie, un peu flou, contient un passage sur le fait qu’« un vétérinaire ne peut porter atteinte à l’image de la profession ». Un tel buzz pourrait conduire l’Eurois devant la Chambre de discipline. « Et il n’est pas exclu que des associations portent plainte », pointe-t-on à l’Ordre.
L’information a rapidement été remontée à l’Ordre national qui, s’il juge déplacés les clichés « d’un point de vue éthique et moral », ne veut pas hurler avec les loups : « Évidemment, si c’est vrai, qu’il s’agit d’espèces protégées, c’est moralement compliqué. Maintenant, l’instance ordinale doit en savoir plus, mettre les choses à plat et aviser ensuite. » L’Ordre s’inquiète en revanche des répercussions pour le personnel de la clinique « alors que l’adresse a été jetée en pâture... Que ce vétérinaire puisse être poursuivi, par une association par exemple, pour des faits qui relèvent de la sphère privée – car, à notre connaissance, il n’était pas là-bas pour travailler –, c’est son problème. Mais il ne faut pas que le personnel de la clinique soit une victime collatérale. »
Malgré les demandes de Paris-Normandie par mail, par téléphone et par des intermédiaires, le vétérinaire incriminé restait, mercredi, injoignable. Ces colonnes lui restent ouvertes.
Depuis son ordinateur en Bretagne, Julien, 30 ans, traque les chasseurs de trophées sur internet via son compte Twitter et sa page Facebook « Ban trophy hunting France/Un clic pour un safari ». « J’ai eu le déclic avec l’histoire du Super U. Je me suis rendu compte qu’en deux clics il est facile de trouver des guides qui, moyennant quelques milliers d’euros, vous emmènent chasser l’antilope en Afrique ! » Conscient du pouvoir des réseaux sociaux, il se défend d’inciter à la haine : « Je ne veux pas que l’on s’acharne sur ce vétérinaire. Mais, tout est sur le net. C’est public, je n’ai rien volé. » Le droit à l’oubli – les faits se seraient produits en 2009 –, il balaie : « les animaux qu’il a tués pourraient être encore en vie. Alors, le droit à l’oubli... » En affichant des chasseurs de trophées, et en offrant au passage les contacts disponibles et adresses mail, poussant implicitement certains internautes au harcèlement, il milite pour un changement des textes : « Là, ce vétérinaire, il ne chasse pas une biche pour manger ! Ce n’est pas normal que légalement on puisse trouver des guides pour ce genre de pratique. Pas normal que des dispositifs existent pour pouvoir rapporter les “trophées” en France ! Et, derrière ce problème, c’est aussi la situation des peuples pygmées qu’il faut défendre : s’ils refusent de participer à ce business, ils se mettent en danger ! » Julien continue d’éplucher le net à la recherche des chasseurs de trophées. Et sa gibecière semble se remplir très vite.