Peter Boudgoust a rappelé l’aspect crucial de l’indépendance de la chaîne culturelle, lors de sa conférence de presse de rentrée. La raison de son inquiétude ? La tentation du ministère de la Culture de regrouper les chaînes publiques au sein d’une société commune, dans le cadre de la réforme de l’audiovisuel à venir.
Le gouvernement français est prévenu. Libre à lui de réformer dans les grandes largeurs l’audiovisuel français, mais pas touche à Arte. Le président du GEIE d’Arte, Peter Boudgoust, s’est chargé de le lui rappeler d’une manière aussi policée que ferme ce 29 août à la conférence de presse de rentrée de la chaîne culturelle. « Arte repose sur un principe d’indépendance, aussi bien statutaire, que financière et éditoriale. Ce principe est inscrit au coeur des textes fondateurs de la chaîne et cette indépendance est cruciale... Il est possible de changer le mode d’organisation de la chaîne mais la ligne rouge du côté allemand, c’est le respect des principes fondamentaux. » Et au cas où le message ne serait pas suffisamment explicite, Peter Boudgoust a rappeler qu’en Allemagne les chaînes publiques – Arte Deutschland comprise - étaient indépendantes de l’État fédéral et qu’il ne saurait en être autrement pour Arte France. « Je sais qu’il y a actuellement des discussions sur l’évolution de la structure de l’audiovisuel public en France, qui pourraient avoir des conséquences sur Arte France. Bien entendu, je n’ai pas à porter de jugement sur ce débat législatif français. J’aimerais simplement rappeler que l’indépendance du pôle français est toute aussi capitale pour préserver cette construction singulière qu’est Arte. »
Si le président allemand du GEIE d’Arte s’est autorisé cet avertissement sans frais, c’est qu’on attend maintenant de façon imminente l’arrivée du projet de loi censé faire entrer l’audiovisuel français dans l’ère numérique. Le quotidien L’Opinion annonce aujourd’hui que le ministre de la Culture, Franck Riester, lancera dès la semaine prochaine un grand round de concertation autour d’un « texte très épais avec pas moins de 140 articles », avant une présentation en Conseil des ministres fin octobre ou début novembre, et une discussion au Parlement programmée début 2020. À ce stade, rien ne dit que ce projet de loi constitue une quelconque menace pour Arte, mais rien ne dit non plus le contraire. « Les signaux envoyés par la rue de Valois ont parfois pu paraître contradictoires », glisse un responsable de la chaîne. Rien de totalement étonnant quand on se souvient que Franck Riester alors simple député les Républicains, s’était déclaré partisan d’un rapprochement de toutes les forces audiovisuelles publiques françaises sous un même fanion. « A l’ère du numérique, il faut rassembler les forces et créer une société commune à l’image de la BBC en rassemblant France Télévisions, Radio France, France Médias Monde et même Arte, quitte à faire évoluer le traité franco-allemand qui régit cette chaîne », expliquait-il alors dans une interview au Figaro. Cette tentation de rapprocher Arte avec d’autres chaînes publiques n’est pas nouvelle et elle est partagé aussi bien à droite qu’à gauche de l’échiquier politique. Alain Juppé avait rêvé en 1997 d’un mariage entre Arte et la Cinquième (ex-France 5). Deux ans plus tard, c’est Lionel Jospin qui avait voulu intégrer Arte dans une holding publique (déjà) au-côté de France Télévisions. Les Allemands s’étaient alors « émus » très fort et le Premier ministre avait du adresser une lettre à son homologue allemand, Gerhard Schroeder, pour lui annoncer officiellement que la France renonçait à ce projet.
Dans son cours discours, Peter Boudgoust a qualifié Arte « d’Airbus culturel », « l’exemple même d’une coopération franco-allemande réussie ». Difficile de lui donner tort, la qualité des programmes d’Arte reste constante, son développement dans le numérique et sa volonté de s’adresser à tous les publics – y compris les plus jeunes – est assez exemplaire, et l’audience de la chaîne n’a jamais été aussi élevée qu’en 2019. Dès lors, pourquoi prendre le risque de bousculer un tel édifice ? La tentation serait d’autant plus absurde qu’il n’y a pas besoin de créer de nouvelles structures communes pour faire travailler les chaînes et radios publiques en bonne intelligence comme le montre les récentes passerelles développées par Arte avec France Télévisions dans la production de grands documentaires, ou les synergies mises en place avec Radio France.
Enfin, l’horizon d’Arte est de s’ouvrir encore plus largement à l’Europe, pas de s’enfermer dans un tête-à-tête franco-français. On le sait peu mais Arte parle non seulement le français et l’allemand, mais aussi l’espagnol, le polonais et l’italien grâce à un service de programmes multilingues accessible par Internet. L’idée a expliqué sa présidente, Véronique Cayla, « est que ce service serve de socle au lancement d’une offre commune de l’audiovisuel public français et allemand réunissant Arte, France Télévisions, l’ARD et la ZDF avant de s’élargir à d’autres chaînes publiques européennes ». Objectif : proposer aux Européens une offre en ligne publique et gratuite – au moins dans un premier temps – de documentaires, reportages, magazines et concerts qui pourrait ensuite s’enrichir de programmes de fiction et de cinéma. Et si l’alternative à Netflix et à toutes les plateformes américaines qui vont déferler sur l’Europe dans l’année à venir (Apple, Disney, Warner) se trouvait là ?