Dans les salles et sous les chapiteaux, les effets de la grève ne se sont pas fait attendre. « Personne n'imagine les conséquences dramatiques que tout ce mouvement social va avoir sur l'économie de la culture », déplore Thierry Suc, le patron de la société de production TS3. Lui a pris le risque de programmer pendant un mois le spectacle War Horse à la Seine Musicale. Un endroit désormais inaccessible en métro, puisque la ligne 9 qui la dessert demeure irrémédiablement fermée depuis le 5 décembre.
« Les ventes de War Horse sont divisées par 3, voire 4 depuis, alors que nous étions au pic d'une promotion dithyrambique et d'un bouche-à-oreille exceptionnel. Les grèves tuent certains spectacles, notamment ceux de longue durée, qui, en général, ont besoin de décembre, le meilleur mois habituellement, pour compenser certaines périodes plus difficiles », renchérit-il.
« Les volumes de ventes se sont écroulés dans tous nos théâtres, nous disposons d'outils d'analyse très précis pour nous rendre compte de l'impact des mouvements sociaux. Depuis les grèves, les réservations sont réduites de moitié et le public anticipe un mouvement qui va durer. Même les ventes de 'Funny Girl' ne décollent pas pour les fêtes alors que les critiques et l'accueil des spectateurs étaient excellents », souligne Aurélien Binder, qui dirige Fimalac Entertainement, une entité regroupant de nombreuses salles. Jeudi, vendredi, tous les théâtres du groupe ont fermé (Marigny, La Michodière, le Théâtre de Paris, les Bouffes Parisiens, la Porte Saint-Martin), à l'exception de La Madeleine.
Sur la soixantaine de salles adhérentes au Syndicat National du Théâtre Privé, 60 % environ n'ont pas ouvert jeudi dernier. « Ce qui est terrible, c'est que nous avions remonté la pente des attentats de 2015. La fin d'année 2018 avait été impactée par les 'gilets jaunes' et maintenant, nous avons les grèves de décembre qui, normalement, est un bon mois d'activité. Il faut que nos théâtres aient les reins solides ! » déplore Isabelle Gentilhomme, déléguée générale du syndicat. Si le fonds de soutien mis en place par la profession peut être mis à contribution, pas sûr qu'il suffise si les difficultés perdurent.
La situation est particulièrement difficile pour les nouvelles pièces qui n'ont pas eu le temps de s'installer. Ainsi, le Théâtre Dejazet, qui venait de lancer le 4 décembre son spectacle de fin d'année, a dû annuler les représentations de jeudi et samedi : faux départ donc pour « Le Dindon » de Feydeau, farce interprétée de manière désopilante par la compagnie Viva (idéale pour les fêtes).
A la Scala de Paris, le show déjà très connu de François Morel interprétant Devos a mieux résisté. « On a eu des annulations mais la salle est quand même bien remplie. Sur Morel, on fait encore 400 personnes par soir au lieu de 430-450. En revanche, Joseph Moog, pianiste presque inconnu, a donné un concert samedi devant 200 personnes, il aurait dû y en avoir une centaine de plus », commente la propriétaire des lieux, Mélanie Biessy.
Les grands cabarets sont restés ouverts, mais il y a eu « de nombreux reports et quelques annulations », note Daniel Stevens, délégué général de Camulc , l'organisme qui les regroupe. Le cirque Bouglione, très impacté mercredi dernier, l'est moins depuis - les parents cherchant des solutions pour ne pas pénaliser leurs enfants. En revanche le cirque Arlette Gruss a enregistré les annulations ou reports de plus de 40 groupes ou comités d'entreprises.
Château Versailles Spectacles, société non subventionnée, a enregistré aussi de nombreuses annulations. « Beaucoup de spectateurs se renseignent sur le remboursement. Des gens de Bruxelles et de Londres qui avaient acheté un billet ont pris peur et ne sont pas venus », pointe Maxime Ohayon, en charge du développement. Quand au producteur Vald Prod, sa campagne de publicité lancée la semaine dernière dans le métro pour Le Lac des Cygnes, à l'affiche au Théâtre des Champs Elysées en fin d'année, n'a servi strictement à rien...
Certains acteurs espèrent faire jouer leur assurance. Des courtiers comme Ovatio ou Dufaud se sont spécialisés dans les risques culturels. Mais nul doute que les tarifs des primes, déjà très élevées, vont s'envoler.
L'Opéra de Paris a perdu 1 million d'euros de chiffre d'affaires (toutes les représentations de ballets et opéras depuis jeudi ont été annulées) du fait des grèves de leurs propres techniciens, danseurs et musiciens.