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La Cinq - Jean-Louis Calderon, chronique d'un décès improbable à Bucarest en 1989

La Cinq - Jean-Louis Calderon, chronique d'un décès improbable à Bucarest en 1989
Jean-Louis Calderon, Grand reporter à la Cinq, est décédé à Bucarest en décembre 1989. C'était l'avant-veille de Noel. Il a succombé sous les chenilles d'un blindé, suite à une manœuvre aussi suspecte qu'incompréhensible. Trente ans après nous pensons toujours à lui avec émotion et admiration. Trente ans après on essaye toujours de comprendre les causes réelles de ce drame. Retour sur une nuit cauchemardesque et un décès improbable.
 
22 décembre 1989. C’est un vendredi. Bucarest s’enflamme. Ce jour-là le monde entier suit en direct à la télévision une révolution populaire qui se révélera être un coup d’état d’une poignée d’apparatchiks soutenue par l’armée. C’est surtout le jour où Jean-Louis Calderon, Grand reporter, envoyé spécial de la Cinq dans cette capitale survoltée, succombe sous les chenilles d’un blindé.
 
Avec son ami Patrice Dutertre, cameraman et correspondant de guerre lui aussi, Philippe Gibeaux le sondier de l'équipe, et deux photographes de presse, Patrick Durand et Patrick Robert de l’agence Sygma, Jean-Louis atterrit à la tombée de la nuit en Roumanie. Un pays où les légendes les plus sordides se nourrissent des violences de son histoire récente la plus tragique. La route pour rejoindre la capitale est impraticable. Des barricades érigées dans la nuit par les manifestants défient toute tentative d'acheminement de renforts vers la ville. De son côté la Securitate, la redoutable police politique, s’efforce de contrôler tous les déplacements, surtout ceux de la presse. Alors les cinq nouveaux arrivants, lestés de leur matériel de reportage, n’hésitent pas à rejoindre discrètement à pied le centre de Bucarest distant d’une quinzaine de kilomètres.
 
Jean-Louis et Patrice veulent être ‘’là où tout va se passer’’, ‘’se positionner dans l’œil du cyclone’’. C’est leur mantra. Ils doivent donc atteindre au plus vite la place principale. L’épicentre d’une révolution annoncée.
 
C’est une ville sombre et déserte qui les accueille, incertaine et silencieuse. Les rues sont vides. L’éclairage aléatoire et glauque. Parfois un véhicule apparaît pour se fondre aussitôt dans un paquet d’obscurité. Patrice confie alors son impression au reste de l’équipe: ‘’Je sens que ça ne va pas être facile''’’. Et puis soudain du bruit, beaucoup de bruit. Un immense brouhaha. Quelques cris aussi. Une lumière éblouissante les sort enfin de la nuit. Une agitation impensable les bouscule. Ils viennent d’arriver sur la place de la Révolution. Une foule enthousiaste s’agite autour d’une trentaine de blindés positionnés face au Siège du Comité central du Parti communiste. La veille, c'est sur cette même place, au balcon de ce palais, que Nicolas Ceausescu, le ‘’Danube de la pensée’’, le ‘’Génie des Carpates’’, le dictateur le plus brutal du bloc de l’est, avait dû fuir sous les huées de son peuple. Son discours et son autorité s’étaient fracassés au contact de récriminations et de revendications trop longtemps contenues. Et la liesse de cette nuit du 22 au 23 décembre se veut la consécration de cette révolte.
 
La place ne désemplit pas. L'enthousiasme de la foule s’amplifie d'heure en heure. La fraternisation du peuple et de l'armée est flagrante. Certains n’hésitent pas à enlacer les soldats juchés sur leurs blindés et à leur offrir des yaourts. La nuit précédente pourtant, ces mêmes soldats complices de la Securitate, n’avaient pas hésité à leur tirer dessus. Le bilan est très lourd. On parle de plusieurs centaines de morts. Qu'à cela ne tienne, d’autres manifestants arborent avec fierté des drapeaux troués en leur centre, découpés, amputés de l’emblème communiste. Des drapeaux devenus le symbole d’un état en lambeaux.
 
Mais ce n’est pas à une fête à laquelle assiste l’équipe de Jean-Louis Calderon cette nuit du 22 au 23 décembre 1989. Des snipers de la Securitate, protégés par l'obscurité, tirent soudainement sur la foule. Planqués dans les bâtiments entourant la place, ils sèment la terreur. Les blindés ripostent à la mitrailleuse. Les manifestants courent dans tous les sens. C’est la panique la plus totale. Certains sont abattus. Une jeune femme est fauchée par une balle devant Patrick Durand. La carotide est touchée. L'hémorragie la vide de son sang. Patrice filme. Jean-Louis n'est pas loin. Il restait toujours au plus près de son cameraman avec son sac Bellingham en bandoulière rempli de cassettes et des batteries de rechange. Patrice s’efforce de saisir le maximum de séquences de cette agitation démentielle. Il s’attarde sur les blindés. Il a besoin d’un raccord. Il contourne l’un d’entre eux, caméra à l’épaule. Il veut le filmer de face. Jean-Louis l'accompagne. Ils se tournent maintenant vers la place. Soudainement, sans raison apparente, le blindé fait un bond en avant d'un à deux mètres. Patrice est violemment bousculé à la hanche. Mais l’improbable vient de se produire. ''Il est dessous'' hurle Philippe le preneur de son ''Il est mort". Sidérés par l'effroi, tous les deux tambourinent sur le char pour en faire sortir le conducteur. Ils l'aperçoivent à travers la lucarne, ''C'était un gosse de soldat'', dira Philippe. Il ne bougera pas. Le corps de Jean-Louis gît sous les chenilles du TR77.
 
Jean-Louis était un journaliste talentueux. Un homme doté d’une personnalité particulièrement attachante. Il était volontaire et courageux, compétent et avenant. Trente ans après, nous pensons toujours à lui avec une grande émotion.
 
Mais ce recueillement n'est pas réductible d'une immense colère. Certains souhaitent savoir ce qui s'est réellement passé durant cette nuit du 22 au 23 décembre 1989. Comprendre aide à mieux surmonter le décès d'un proche, d'un ami. Depuis trois décennies certains de ses confrères attendent toujours la réponse à cette question essentielle - Le blindé a-t-il agi délibérément ? C'est une certitude pour Patrice Dutertre. C'est une interrogation légitime pour les autorités roumaines. Mais ce n'est qu'en 2009 qu'elles traiteront cette affaire comme un ''meurtre''.
 
En clair, Jean-Louis a-t-il été victime d'une exécution caractérisée, parce qu'il était un des rares journalistes témoins d'une confrontation inenvisageable jusqu'à ce jour entre les deux piliers du régime, l'armée face à la Sécuritate ? Mais alors pourquoi le blindé n'a-t-il pas poursuivi son avancée de deux mètres supplémentaires, réservant ainsi le même sort à Patrice Dutertre le cameraman ?
 
L'autre hypothèse s'oppose en partie à la première sans véritablement la contredire. Jean-Louis, concentré sur la fusillade en cours, toujours à l'affût de l'évolution des événements, toujours positionné dans ''l’œil du cyclone'', toujours aux avants postes, a-t-il négligé la présence du blindé dont la manœuvre soudaine l'aurait surpris en l'entraînant dans la rotation diabolique de ses chenilles ? Mais là encore, pourquoi cette avancée de seulement deux mètres ? Elle s'est révélée suffisante pour tuer Jean-Louis. Avait-elle une autre finalité ?
 
Malheureusement, après un cabotinage médiatique du procureur et des avocats, une nouvelle chape de silence est venue étouffer toute velléité de compréhension. Depuis, aucune information. Pas de commentaire. La procédure judiciaire semblait s'être enlisée dans les strates kafkaïennes d'une justice roumaine mal dégrossie des anciennes méthodes de Ceausescu.
 
Et puis il y a quelques jours, 30 ans après l'insurrection, un procès historique s'est ouvert à Bucarest. Il s'agissait de l'audience préliminaire devant la Haute cour de cassation et de justice du procès des crimes commis lors de la révolution. Et particulièrement de ceux qui ont suivi la chute de Ceausescu. Il devrait durer des mois. Les centaines de roumains présents devant le tribunal ce vendredi 29 novembre 2019 doutent que la lumière soit faite sur ces pages les plus sombres de leur histoire. Mais qui peut dire si un témoignage inattendu ne se manifestera pas pour venir nous éclairer sur le drame qui a coûté la vie à Jean-Louis ? Qui peut prétendre que dans les 3500 tonnes du dossier aucun élément, pas un nom ou une simple ligne, ne seront susceptibles de nous aider à comprendre enfin les raisons son décès ? C'est un dernier espoir pour savoir. Le procès reprendra le 21 février 2020.
 
Pour l'instant on sait seulement qu'après l'avancée du tank, le regard fuyant du conducteur et la silhouette de l'officier qui émergeait jusque-là de la tourelle se sont aussitôt effacés derrière le blindage de leur TR77, emportant dans leur dérobade les véritables motifs de la mort improbable de Jean-Louis Calderon.
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