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Michèle Bernard-Requin, qui avait ému la France, est décédé

Michèle Bernard-Requin s'est éteinte samedi 14 décembre dans une chambre du pavillon Rossini de l'hôpital Sainte-Perrine dans le 16e arrondissement de Paris. À l'instant de rendre son dernier souffle, elle était entourée de son fils. Et de tous ceux qui, les jours précédents, avaient lu le texte poignant qu'elle avait écrit pour qu'il soit publié sur le site du Point.
 
Vendredi 6 décembre 2019, cette grande dame de la magistrature avertissait au Point qu'elle vivait ses derniers jours. « Je vais vous faire envoyer par l'intermédiaire de ma fille un texte auquel je tiens énormément. Il est un petit peu particulier, mais j'aimerais tellement qu'il passe dans Le Point.fr. Je ne vous cache pas que je n'ai pas beaucoup de temps devant moi, mais je voudrais au moins apporter cette aide à l'une des choses qui marche bien en France et qui est compromis faute d'argent. »
 
D'une voix forte, digne, mais essoufflée, Michèle Bernard-Requin formulait ici sa dernière prière. Elle fut évidemment exaucée. Sa fille Laurence eut le temps de lui lire les dizaines de messages qui accompagnaient son dernier texte. Ses lignes ont ému la France entière. Sa disparition laissera un grand vide au Palais, où cette septuagénaire n'a laissé que de bons souvenirs. Révélée au grand public grâce au documentaire de Raymon Depardon (Délits flagrants, sorti en 1994), elle ne cessait depuis lors d'expliquer dans des livres et des émissions de télévision avec passion et clarté les ressorts, difficultés et enjeux de la justice. Filmée une deuxième fois par Depardon en 2014, dans le film documentaire10e chambre, instants d'audiences, elle s'était rendue dans les lycées et d'autres établissements pour accompagner la diffusion du film, expliquant trouver utile de faire de la pédagogie sur le fonctionnement de la justice bien que le regard sur celle-ci ne puisse que "difficilement changer".
 
Personnalité respectée du monde judiciaire, elle fut tour à tour avocate, puis procureure à Rouen, Nanterre et Paris. En 1999, elle est nommée vice-présidente du tribunal de grande instance de Paris, elle présida la 10e chambre correctionnelle de Paris puis la cour d'assises, et enfin elle fut avocate générale à Fort-de-France de 2007 à 2009, date à laquelle elle prit sa retraite. Michèle Bernard Requin fit également une apparition remarquée dans 9 mois ferme, le long-métrage d'Albert Dupontel sorti à l'automne 2013. Elle était la présidente du tribunal lors du procès de Bob Nolan. Le film fut récompensé par deux Cesars et plus de 2 millions d'entrées en France.
 
Autrice de plusieurs livres, elle intervenait de temps à autre dans les médias et tenait depuis 2017 une chronique régulière sur le site du Point dans laquelle elle expliquait avec clarté, talent et conviction comment fonctionne la justice et pourquoi, parfois, cette institution dysfonctionne.
 
Nous présentons à ses enfants et à sa sœur nos condoléances les plus attristées.
 
"UNE ÎLE
 
Vous voyez d'abord, des sourires et quelques feuilles dorées qui tombent, volent à côté, dans le parc Sainte-Perrine qui jouxte le bâtiment.
 
La justice, ici, n'a pas eu son mot à dire pour moi.
 
La loi Leonetti est plus claire en effet que l'on se l'imagine et ma volonté s'exprime aujourd'hui sans ambiguïté.
 
Je ne souhaite pas le moindre acharnement thérapeutique.
Il ne s'agit pas d'euthanasie bien sûr mais d'acharnement, si le cœur, si les reins, si l'hydratation, si tout cela se bloque, je ne veux pas d'acharnement.
 
Ici, c'est la paix.
 
Ça s'appelle une « unité de soins palliatifs », paix, passage… Encore une fois, tous mes visiteurs me parlent immédiatement des sourires croisés ici.
 
« Là tout n'est qu'ordre et beauté, luxe calme et volupté ».
 
C'est une île, un îlet, quelques arbres.
 
C'est : « Mon enfant, ma sœur, Songe à la douceur d'aller, là-bas, vivre ensemble ». C'est « J'ai plus de souvenirs que si j'avais mille ans » (« Spleen ») Baudelaire.
 
Voilà, je touche, en effet, aujourd'hui aux rivages, voilà le sable, voilà la mer.
 
Autour de nous, à Paris et ailleurs, c'est la tempête : la protestation, les colères, les grèves, les immobilisations, les feux de palettes.
 
Maintenant, je comprends, enfin, le rapport des soignants avec les patients, je comprends qu'ils n'en puissent plus aller, je comprends, que, du grand professeur de médecine, qui vient d'avoir l'humanité de me téléphoner de Beaujon, jusqu'à l'aide-soignant et l'élève infirmier qui débute, tous, tous, ce sont d'abord des sourires, des mots, pour une sollicitude immense. À tel point que, avec un salaire insuffisant et des horaires épouvantables, certains disent : « je préfère m'arrêter, que de travailler mal » ou « je préfère changer de profession ».
 
Il faut comprendre que le rapport à l'humain est tout ce qui nous reste, que notre pays, c'était sa richesse, hospitalière, c'était extraordinaire, un regard croisé, à l'heure où tout se déshumanise, à l'heure où la justice et ses juges ne parlent plus aux avocats qu'à travers des procédures dématérialisées, à l'heure où le médecin n'examine parfois son patient qu'à travers des analyses de laboratoire, il reste des soignants, encore une fois et à tous les échelons, exceptionnels.
 
Le soignant qui échange le regard.
 
Eh oui, ici, c'est un îlot et je tiens à ce que, non pas, les soins n'aboutissent à une phrase négative comme : « Il faut que ça cesse, abolition des privilèges, il faut que tout le monde tombe dans l'escarcelle commune. » Il ne faut pas bloquer des horaires, il faut conserver ces sourires, ce bras pour étirer le cou du malade et pour éviter la douleur de la métastase qui frotte contre l'épaule.
 
Conservons cela, je ne sais pas comment le dire, il faut que ce qui est le privilège de quelques-uns, les soins palliatifs, devienne en réalité l'ordinaire de tous.
 
C'est cela, vers quoi nous devons tendre et non pas le contraire.
Donc, foin des économies, il faut impérativement maintenir ce qui reste de notre système de santé qui est exceptionnel et qui s'enlise dramatiquement.
 
J'apprends que la structure de Sainte-Perrine, soins palliatifs, a été dans l'obligation il y a quelques semaines de fermer quelques lits faute de personnel adéquat, en nombre suffisant et que d'autres sont dans le même cas et encore une fois que les arrêts de travail du personnel soignant augmentent pour les mêmes raisons, en raison de surcharges.
 
Maintenez, je vous en conjure, ce qui va bien, au lieu d'essayer de réduire à ce qui est devenu le lot commun et beaucoup moins satisfaisant.
 
Le pavillon de soins palliatifs de Sainte-Perrine, ici, il s'appelle le pavillon Rossini, cela va en faire sourire certains, ils ne devraient pas : une jeune femme est venue jouer Schubert dans ma chambre, il y a quelques jours, elle est restée quelques minutes, c'était un émerveillement. Vous vous rendez compte, quelques minutes, un violoncelle, un patient, et la fin de la vie, le passage, passé, palier, est plus doux, c'est extraordinaire.
 
J'ai oublié l'essentiel, c'est l'amour, l'amour des proches, l'amour des autres, l'amour de ceux que l'on croyait beaucoup plus loin de vous, l'amour des soignants, l'amour des visiteurs et des sourires.
 
Faites que cette humanité persiste ! C'est notre humanité, la plus précieuse. Absolument.
 
La France et ses tumultes, nous en avons assez.
 
Nous savons tous parfaitement qu'il faut penser aux plus démunis. Les violences meurtrières de quelques excités contre les policiers ou sur les chantiers ou encore une façade de banque ne devront plus dénaturer l'essentiel du mouvement : l'amour."
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