C'est dans sa mairie du VIIe arrondissement, rue de Grenelle face au porte-parolat du gouvernement où son ex-rival Benjamin Griveaux avait son bureau pendant un peu plus de deux ans, que Rachida Dati a reçu Le Parisien - Aujourd'hui en France ce vendredi en début de soirée. La candidate LR à la mairie de Paris est tout sourire. Les bonnes enquêtes d'opinion n'y sont sans doute pas pour rien. Cette semaine, un sondage l'a donnée devant Anne Hidalgo, et deux autres sur les talons de la maire PS sortante.
L'arrivée d'Agnès Buzyn dans la course à l'Hôtel de Ville ? À peine son sujet, élude-t-elle, préférant désigner Hidalgo comme rivale. L'ex-garde des Sceaux de Nicolas Sarkozy se sert de son arrondissement comme d'un laboratoire de campagne. Ne cherchez pas de projets urbains révolutionnaires ou de création de parcs géants dans la capitale : elle assume le pragmatisme, en brandissant des mesures très concrètes autour de la sécurité, de la propreté et du logement, ses thèmes favoris.
La sécurité et la propreté sont les deux thèmes de prédilection d'Agnès Buzyn. N'est-elle pas une adversaire plus dangereuse que Benjamin Griveaux ?
RACHIDA DATI : Si Agnès Buzyn veut copier le programme, qu'elle le copie ! J'avais des intuitions liées à mon bilan de maire du VIIe, où j'ai testé des dispositifs - en matière de sécurité, de propreté, de solidarité - qui ont montré leur efficacité. J'ai décidé de m'en inspirer pour élaborer un programme dans la proximité. Je suis la seule alternative à Anne Hidalgo.
La maire est donc votre principale adversaire ?
Ma principale adversaire est logiquement la maire sortante, avec un bilan chaotique, épouvantable. L'insécurité, l'état de la voirie, la propreté ! Chaussées, rues, trottoirs… Tout est défoncé. Ce ne sont plus des nids-de-poule, ce sont des poulaillers ! Je ne me résous pas à laisser Paris décliner. Or, ce déclin est le bilan de Madame Hidalgo.
Avec qui vous pourriez-vous allier au second tour ? Est-ce que vous pouvez gagner Paris toute seule ?
Nous sommes sur le premier tour, celui des choix fondamentaux. La stratégie d'alliance ou de débauchage, c'est ce qu'a fait Benjamin Griveaux sans succès. J'ai fait le choix de proposer un projet pour fédérer les Parisiens. Évidemment, personne ne pourra gagner tout seul. Ni moi, ni Hidalgo.
Quand vous poserez-vous la question des alliances ?
Le soir du premier tour, en fonction des scores, se posera la question de la meilleure manière de tourner la page Hidalgo.
Quel est le sens des mesures que vous allez présenter lundi ?
La première demande des Parisiens, c'est la tranquillité et la propreté. Quand, dans une ville, on ne peut pas se promener en sécurité, à tous les niveaux - se prendre une trottinette sur un trottoir, un vol à la tire, une agression - c'est qu'il y a un problème. Deux indicateurs sont essentiels. D'abord, le nombre de crimes et délits par an et par habitant, qui est au-dessus de la moyenne nationale dans la capitale. Ensuite, le taux d'élucidation qui a diminué à Paris.
Vous souhaitez mettre en place une police municipale armée. Comment ?
Je veux 3 400 agents sur le terrain, contre 2 900 actuellement. Ils seront équipés, comme dans toutes les grandes villes, avec armes létales, gilets pare-balles et flotte de véhicules sérigraphiés, équipés de sirène et de gyrophare, pour lutter contre la délinquance du quotidien. À quatre ans des JO, je n'imagine pas ne pas avoir de police municipale armée.
Quelle serait son organisation ?
Les arrondissements auront un rôle central. Dans chacun, il y a une antenne de police municipale avec un centre de supervision de la vidéoprotection. Je multiplierai par trois le parc de caméras de vidéoprotection. Il y a aujourd'hui 1 360 caméras pour les protéger de la délinquance. À la fin de ma mandature, il y en aura 4 000 soit une pour 550 habitants. Chaque arrondissement aura un adjoint à la sécurité et des policiers municipaux qui lui seront affectés. Je mettrai en place une ligne téléphonique directe pour tous les habitants, afin qu'ils puissent contacter leurs agents. Mon dispositif intégrera aussi un adjoint aux victimes dans chaque arrondissement.
Je l'ai fait dans le VIIe. Cet adjoint accompagne les victimes dans leurs procédures : les plaintes, trouver un avocat, les orienter vers un médecin pour constater cas échéant une ITT… Quand j'étais garde des Sceaux, j'avais créé le juge aux victimes. À Paris, je donnerai à cet adjoint la compétence de l'attribution des subventions aux associations d'aide aux victimes.
Quelles seraient vos mesures pour rendre la ville plus propre ?
La Ville a augmenté la surface piétonne de plus de 30 % sans revoir l'organisation de la propreté. C'est de plus en plus sale parce que depuis 2001, la direction de la propreté n'a pas évolué. Il faut un pilote pour le nettoyage et un autre pour la collecte des ordures. Il faut développer la mécanisation des tâches, généraliser des outils modernes, comme des poubelles compactantes qui ne débordent pas quand elles sont pleines. Madame Hidalgo dit que les Parisiens sont sales. Mais que font-ils de leurs déchets quand les poubelles sont pleines ? L'utilisation de l'intelligence artificielle doit être développée. Il y a de nouveaux outils pour nettoyer les grandes villes. Des aspirateurs, des nettoyeurs à air qui vous lustrent les trottoirs ! Par ailleurs, il faut donner du pouvoir aux maires d'arrondissement. Ils auraient en charge une partie de la propreté, la voirie. Mon objectif, c'est une ville propre sept jours sur sept, 24 heures sur 24.
Qui dit propreté dit voirie. Que proposez-vous ?
Sur la voirie, je refais tout. La mairie de Paris a répandu dans beaucoup d'endroits du simili-goudron de mauvaise qualité. Il faut y remettre de la vraie matière première. Pour mieux gérer les travaux, il faut appliquer la méthode que j'utilise dans le VIIe : j'informe les riverains quand il va y avoir des chantiers. Ensuite, je convoque les opérateurs et je planifie les travaux pour qu'ils ne soient pas effectués en même temps au même endroit. Je ne veux pas de nuisances sonores à 6 heures du matin avec des camions qui déchargent. Il faut donc mettre en place des plannings avec les mairies et s'accorder sur le nombre de camions mobilisés. Et s'il y a un retard, le maire d'arrondissement saisit le tribunal pour faire appliquer des pénalités comme je le fais dans le VIIe.
Que proposez-vous sur les transports ?
Je travaille à un schéma de mobilité avec des experts avec comme priorité la fluidité. Je sanctuariserai les trottoirs pour les piétons. Je mettrai de l'ordre dans l'espace public. Madame Hidalgo veut diminuer le nombre de trottinettes de 30 000 à 15 000. Or ce n'est pas une question de nombre mais de régulation. Dans mon schéma, je fais des cheminements longs piétons et vélos. Par exemple lorsqu'on arrive au bout de la rue de Rivoli, on ne se retrouve pas dans le chaos de la place de la Concorde comme aujourd'hui mais qu'il y ait une continuité jusqu'à l'avenue des Champs-Elysées.
Vous souhaitiez supprimer le diesel dans Paris…
Non, je n'ai pas dit qu'il fallait arrêter le diesel en 2024. J'ai juste dit que c'était le sens de l'histoire et qu'il faudrait un jour y arriver.
Êtes-vous favorable à la réouverture aux voitures des voies sur berge ?
Ce seront les Parisiens qui trancheront à l'issue de la concertation sur le schéma de mobilité.
Quid de votre programme budgétaire ?
En premier lieu, j'aimerais lancer un audit via un organisme indépendant sur la totalité des finances de la Ville. Je souhaite remettre à plat tous les marchés publics de la Ville car les dépassements de dépenses sont presque systématiques. Ensuite, je veux mettre fin à tous les artifices comptables de la Ville qui servent à camoufler la dette. Je vous donne un exemple : les loyers capitalisés. La Ville s'est arrogée 60 ans par avance de loyers capitalisés des bailleurs sociaux : près de 1,2 milliard d'euros en 5 ans. Ce type de système est à bannir, c'est une fuite en avant qui fausse la sincérité des comptes. Il faut être bon gestionnaire, la gabegie, ça suffit ! Enfin, je souhaite faire un inventaire réel des actifs - non financiers - de la Ville de Paris dont le montant s'élève à 23 milliards d'euros. Cela comprend des terrains à Orly, à Ivry-sur-Seine… J'assume de proposer des cessions d'actifs non stratégiques pour réduire la dette.
Prenez-vous des engagements sur la fiscalité ?
Je n'augmente pas les impôts pendant la mandature et même pas les impôts indirects. Madame Hidalgo a dit qu'elle n'augmenterait pas les impôts mais elle a augmenté les tarifs des services municipaux. Tout a été augmenté en indirect !
Justement, vous n'augmentez pas ou vous baissez ?
Je diminue fortement tous les tarifs municipaux liés aux familles et aux personnes âgées. La classe moyenne et intermédiaire paye tout plein pot. Par exemple, le tarif maximal pour la cantine qui est actuellement de 7 euros, je le baisse à 3,50 euros.
Le logement est aussi une préoccupation…
La politique du logement social de Madame Hidalgo, c'est soit le cynisme soit la facilité, soit la punition soit le mépris. Il y a une vision idéologique mais pas de réflexion sur une répartition homogène et une composition des locataires du parc correspondant à la sociologie parisienne. À l'ouest, elle achète quelques logements à prix d'or souvent inadaptés aux besoins réels. À l'est, elle densifie et concentre les difficultés. Comme me l'a dit un collectif du quartier de Ménilmontant, on ajoute de la misère à la pauvreté. Je suis une enfant du logement social et le logement social joue son rôle quand il y a de la mixité. Il faut une politique du logement équilibrée sur tout le territoire, qui ne punit pas les uns et ne méprise pas les autres. Et il est urgent de changer le rôle des bailleurs sociaux. Ils pensent une attribution de logement à vie alors que les parcours de vie des Parisiens (séparation, départ des enfants du foyer) demandent fluidité et mobilité.
Beaucoup de demandes de logements sociaux sont non pourvues…
Sur les 250 000 demandes en attente, près de la moitié n'émane pas des Parisiens. Je souhaite changer les critères d'attribution afin de favoriser les personnes habitants déjà Paris. Je réserverai des logements pour le personnel soignant, les forces de sécurité, les militaires, les gardiens et gardiennes partant à la retraite, tous ceux qui prennent soin des Parisiennes et des Parisiens.
La mairie de Paris a augmenté le nombre de logements sociaux…
La Ville dit qu'elle est à 21,5 % et qu'elle va arriver à 25 %. Mais il y a un scandale. Dans ses 21,5 %, la Ville a acheté au prix du marché des immeubles occupés par des classes moyennes. Il s'agit quand même de 21 000 logements ! Sont alors appliqués des surloyers qui peuvent aller jusqu'au triple du loyer initial. Les locataires issus des classes moyennes doivent ainsi soit payer soit partir. Je pense qu'il y a un problème de légalité là-dedans. Je mettrai fin à ces pratiques scandaleuses d'éviction abusive des classes moyennes de Paris.
Projetons-nous. Nous sommes en 2026, on arrive à la fin de votre mandat de maire de la capitale. En quoi le visage de Paris a changé ?
Paris sera une ville sûre, une ville propre, une ville où le lien social est préservé, une ville qui vit et non une ville qui se replie et où chacun s'affronte. Une ville en vie et en paix.
Elles en font des kilomètres, dans la capitale. Les baskets roses de Rachida Dati sillonnent les rues avec ardeur. Une campagne dynamique, qui veut donner l’image d’une belle unité au sein de LR dans la capitale. La réalité est plus nuancée. Dans le Ve arrondissement, l’ex-cheffe de groupe LR au Conseil de Paris, Florence Berthout, a rejoint LREM il y a quelques mois. Un vrai choc à droite, d’autant qu’il suivait le ralliement officiel durant l’été d’une autre maire LR, Delphine Burkli (IXe) à Benjamin Griveaux, ne se sentant plus en phase avec les idées de son parti.
« Florence Berthout se sentait en danger pour sa réélection et Delphine avait déjà pris ses distances », affirme Dati au Parisien sans paraître le moins du monde affectée. Mais ce n’est pas tout. Dans le XVIe arrondissement, alors que Francis Szpiner a été officiellement intronisé, LR devra faire face à la candidature dissidente de la maire sortante Danièle Giazzi et d’une autre élue d’arrondissement, Céline Boulay-Espéronnier. Dans le XVe, le maire Philippe Goujon, qui a refusé d’annoncer qu’il soutiendrait Dati, a vu sa remplaçante à la fédération LR de Paris, Agnès Evren, débarquer face à lui.
Ces candidatures dissidentes se reproduisent également dans le XIe ou le VIIIe. Bref, la photo de famille s’est sacrément lézardée. Mais, Rachida Dati a un atout dans sa manche : ses sondages à la hausse. Car si elle refuse d’évoquer les futures alliances, elle sait que les dissidents seront contraints de l’adouber pour permettre à la droite de récupérer les clés de l’Hôtel de Ville, laissées à la gauche en 2001. La méthode « bulldozer » de Dati sera-t-elle la bonne ? En cas d’échec fin mars, il en faudra beaucoup pour recoller les morceaux à droite.