La vraie histoire du limogeage brutal de David Pujadas, le journaliste star de France 2.
L'éviction d'un présentateur du journal de 20 heures se passe toujours mal. Celui de David Pujadas n'a pas échappé à la règle. Certes, Delphine Ernotte, la présidente de France Télévisions, avait toujours laissé entendre depuis sa prise de fonction, il y a deux ans, qu'elle voulait changer les visages incarnant les chaînes publiques. Mais personne ne s'attendait à ce que la sentence tombe le jour de la présentation du gouvernement. La déflagration a été violente pour les intéressés, pour Pujadas bien sûr mais aussi pour sa garde rapprochée.
Mercredi 17 mai, 9h30. Le journaliste sort livide du bureau de Delphine Ernotte. Il vient d'apprendre son éviction ainsi que celle de sa rédactrice en chef, Agnès Vahramian. "Tout le monde sera bien traité", promet la présidente, qui expédie l'entretien en un quart d'heure. Pujadas n'a rien vu venir. Il pensait, ce matin-là, recevoir quelques éloges pour la bonne tenue d'un JT dont l'écart avec celui de Gilles Bouleau, sur TF1, en matière d'audience, ne cesse de se resserrer.
Quelques instants plus tard et quelques étages plus bas, les journalistes de France 2 apprennent la nouvelle de la bouche de Pujadas. Sonnés, ils menacent de ne pas assurer l'édition du journal de 13 heures si Delphine Ernotte ne vient pas leur donner les raisons de cette décision. Ce qu'elle consent à faire dans un climat pesant. Devant la rédaction réunie, accompagnée du directeur de l'information, Michel Field, elle tente de désamorcer la crise. Mais si Delphine Ernotte salue le bilan de "Puj", – son surnom dans les coursives de France Télévisions –, et rend hommage aux équipes qui l'entourent depuis quinze ans, elle assume son limogeage en parlant sobrement d'une "fin de cycle".
À ceux qui lui reprochent, au sein de cette assemblée houleuse, le "timing" de cette décision hautement symbolique, Delphine Ernotte réplique que celle-ci n'est en rien "liée au nouveau président de la République". De fait, à l'Élysée, l'annonce suscite un profond agacement. L'entourage d'Emmanuel Macron, qui n'a pas été informé, parle d'"erreur" et de "brutalité inutile".
Trois raisons ont conduit la patronne de France Télévisions à déboulonner David Pujadas. La première tient au journal de France 2 lui-même et à l'équipe qui le fabrique : cœur nucléaire de la chaîne, ce JT est une enclave historique, un bunker que protège jalousement une rédaction soucieuse de son indépendance. Delphine Ernotte et Michel Field s'agaçaient de n'avoir aucune prise sur cette grand-messe quotidienne de l'info.
La deuxième tient au profil de David Pujadas. Il est le seul rescapé d'une direction de l'info entièrement décapitée à la prise de fonction de Delphine Ernotte, en avril 2015. Entre ces deux fortes personnalités, l'entente n'a jamais existé. Enfin, la troisième est le fruit d'une litanie d'escarmouches. Michel Field, qui a souvent contesté la tonalité "libérale" du journal de 20 heures voulait imposer des invités, pas toujours avec succès.
Il s'est aussi opposé à David Pujadas lors de la mise en place de L'Émission politique, ce rendez-vous que le journaliste a été contraint de partager avec Léa Salamé. La goutte d'eau, c'est cette motion de défiance votée à 65% le 19 avril 2016. Ce jour-là, la rédaction reproche au directeur de l'information "le mépris, la désinvolture et parfois la grossièreté qu'il affiche". Un blâme jamais digéré, qui a scellé la rupture entre un Michel Field affaibli et le noyau le plus dur d'une rédaction incarnée par "Puj".
Soucieuse d'éteindre l'incendie, Delphine Ernotte a, dès le 18 mai au matin, annoncé le maintien d'Agnès Vahramian dans ses fonctions. Mais pour combien de temps, s'interroge l'équipe du 20 heures ? Anne-Sophie Lapix, qui succédera à David Pujadas en septembre, aura son mot à dire. Une assemblée générale de la rédaction de France 2 doit se tenir en début de semaine. Avec, à la clé, le vote probable d'une nouvelle motion de défiance.