Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Les Infos Videos

Le meilleur des Infos et des videos du moment. Retrouvez toutes les news 24h/24 et 7j/7.

"La France Arnaud Beltrame" : Comment le nom du héros de l'attentat de Trèbes rayonne à travers le pays

"Vannes n'oubliera jamais le colonel Arnaud Beltrame." Ce vendredi 15 février, sous le soleil du Morbihan, le maire de la ville, David Robo, découvre une plaque au nom du colonel tué lors de l'attentat islamiste de Trèbes (Aude), le 23 mars 2018. Cette petite rue du centre-ville, qui jouxte la gendarmerie, portera désormais le nom de l'homme qui s'est substitué à une otage, au péril de sa vie. "Cet hommage, c'était une évidence pour nous, raconte l'édile breton. Il y avait beaucoup d’émotion. Une vraie fierté." Un sentiment qui a traversé la France tout entière. Un an après la mort d'Arnaud Beltrame, près de 150 communes ont décidé de rendre hommage à son acte héroïque en gravant son nom sur une rue, une place ou un établissement public, selon le décompte de franceinfo.
 
De la rue qui dessert la gendarmerie de Port-Vendres (Pyrénées-Orientales), près de la frontière espagnole, à une place de Saint-Pol-sur-Mer (Nord) au bord de la mer du Nord, en passant par la Bretagne et la région parisienne, les lieux et les voies baptisés du nom du colonel ont fleuri un peu partout, en un temps record. Difficile, pour autant, d'en connaître le nombre exact. Franceinfo a contacté l'ensemble des préfectures, ainsi que la gendarmerie nationale, mais aucune institution ne tient de registre complet.
 
Impossible, donc, d'obtenir une liste précise des lieux ainsi baptisés. D'autant plus que n'importe quel citoyen peut proposer à sa commune de nommer une rue pour rendre hommage à une personnalité. C'est ensuite le maire qui décide de mettre cette proposition à l'ordre du jour du conseil municipal, selon l’article L2121-29 du Code général des collectivités territoriales. La mairie peut alors voter cette décision, sans devoir informer une quelconque autorité, ni même la famille du défunt, confirme Delphine Krust, avocate en droit public.
 
Afin de comptabiliser tous ces hommages, franceinfo a donc dû éplucher la presse locale, les comptes-rendus de conseils municipaux, mais aussi les recensements d'anonymes sur les réseaux sociaux. Franceinfo a ainsi répertorié près de 150 communes de France métropolitaine ayant baptisé une rue, une place ou un lieu public du nom du colonel Arnaud Beltrame. Un chiffre en constante évolution et qui ne peut être exhaustif.
 
Comme à Vannes, où Arnaud Beltrame a vécu quelques années, certains hommages ont revêtu une signification toute particulière. A Trédion (Morbihan), village d'origine de la famille maternelle du colonel Beltrame, un square a été renommé à son nom, en juin. Un lieu symbolique, situé près du monument aux morts de cette commune de 1 300 habitants. "Arnaud a passé une partie de sa jeunesse à Trédion, la question ne se posait même pas, raconte le maire, Jean-Pierre Rivoal. La famille a aussi pris l’initiative d’y ériger une stèle."
 
Cédric Beltrame, le frère d'Arnaud, a pu assister à cette cérémonie avec sa mère et son autre frère, Damien. Lui qui vit depuis plusieurs années à Singapour avait fait le déplacement. "Ça permet d’inscrire son nom dans la durée. C’est quelque chose de physique, de palpable, tangible. J’imagine que les générations futures pourront poser la question : 'Mais c’est qui, ce Arnaud Beltrame ? Pourquoi la rue porte-t-elle son nom ?'" explique Cédric Beltrame.
 
Plus au sud, à Armissan (Aude), cet hommage est aussi apparu comme une évidence. La commune est située à quelques dizaines de kilomètres du lieu de l'attentat. "Le colonel Beltrame et sa femme se sont mariés juste à côté, précise le maire de la commune, José Frère. La décision a été votée à l’unanimité par le conseil municipal. Dans la population aussi, la décision a fait l’unanimité. Et je peux vous dire que c’est assez rare dans la vie d’une municipalité, d’habitude il y a toujours quelque chose à redire." Une petite place bordée de pins, dans les hauteurs du village, porte désormais le nom d'Arnaud Beltrame.
 
Les hommages au colonel ont aussi largement dépassé le simple cadre familial, ou la proximité géographique. Des dizaines de communes, sans lien avec le gendarme, ont décidé d'honorer sa mémoire. C'est le cas de Lavaur (Tarn), où une école primaire a été baptisée à son nom. "Donner le nom du colonel Beltrame à une école, c’est faire œuvre de pédagogie à l’égard des jeunes générations, estime le maire, Bernard Carayon. C’est unique depuis vingt-trois ans que je suis maire. D'ordinaire, nous privilégions des noms tirés de l'histoire locale."
 
Même démarche à Mende, en Lozère. "Quand il y a eu le drame, j'ai tout de suite pensé à lui rendre hommage, explique le maire, Laurent Suau. C’est le colonel des pompiers volontaires qui m'a trouvé la solution. En revenant de faire ses courses, il m’appelle : 'Je crois que j’ai trouvé l’endroit idéal, c’est la rue qui mène à la gendarmerie'." Banco. Le 14 juillet 2018, la municipalité profite de la fête nationale pour inaugurer la rue.
 
"On est un territoire rural. Ici, on a un attachement viscéral à la gendarmerie. Ce sont nos forces de sécurité du quotidien qui font une forme de lien social." Déclare Laurent Suau, maire de Mende à franceinfo.
 
La population joue souvent un rôle déclencheur pour ces démarches. "On a reçu énormément de messages par mail et par courrier. On n'en avait jamais reçu autant sur un tel sujet, se remémore le maire d'Evreux (Eure), Guy Lefrand. Arnaud Beltrame a réussi à rassembler tout le monde." Avec ce mouvement populaire inédit, la ville inaugure une rue au nom du colonel Beltrame seulement un mois et demi après l'attentat, en présence des différents représentants religieux de la ville.
 
"On sentait une émotion palpable. On a souvent des cérémonies, avec plus ou moins de gens présents. Là, il se passait quelque chose de très fort." Déclare Guy Lefrand, maire d'Evreux à franceinfo.
 
A L'Haÿ-les-Roses, dans le Val-de-Marne, c'est le poste de police qui a été baptisé du nom de Beltrame. "Des policiers me disaient : 'Monsieur le maire, ce serait super de lui rendre hommage', raconte l'édile, Vincent Jeanbrun. Je n'ai pas de regrets quand je vois la tension actuelle dans notre pays." Un message fort qui n'a pas écarté certaines craintes dans d'autres communes françaises.
 
A Pégomas (Alpes-Maritimes), le projet d'un collège Arnaud-Beltrame a créé la polémique. Alors que le département annonçait sa volonté de baptiser le nouvel établissement scolaire du nom du colonel, certains parents d'élèves sont montés au créneau. "Au-delà de l’émotion que l’acte de sacrifice de ce gendarme suscite, le collège de Pégomas, avec cette identité, devient potentiellement une cible à des attaques criminelles", s'est inquiété le collectif des parents d’élèves du Val-de-Siagne, en avril. Leurs protestations n'ont pas été prises en compte : quelques mois plus tard, en septembre 2018, le collège Arnaud-Beltrame a bien ouvert ses portes à Pégomas.
 
Cette série d'hommages a aussi pris une tournure plus politique, lorsque plusieurs maires affiliés au Rassemblement national ont voulu rebaptiser des rues et des lieux de leur commune. Selon le journal de la gendarmerie, L'Essor, la mère d'Arnaud Beltrame se serait opposée à une telle démarche. Ce qu'elle a finalement démenti. "Arnaud Beltrame est français. Il appartient à tout le monde", a déclaré Nicolle Beltrame au Parisien. Si les municipalités ne sont pas tenues d'obtenir l'autorisation de la famille pour renommer une rue, celle-ci pourrait déposer un recours, notamment pour "trouble à l'ordre public".
 
Ce n'est pas la seule polémique qui a agité cette série d'hommages. A Montfermeil (Seine-Saint-Denis), des élus du Front de gauche se sont offusqués de l'expression "victime du terrorisme islamiste" utilisée par la mairie pour présenter le colonel Arnaud Beltrame sur la plaque du parvis de l'hôtel de ville. "Le maire poursuit ses provocations et inscrit dans le marbre sa vision de la guerre de religion", ont réagi ces élus d'opposition. Peu avant, c'était le maire de Béziers (Hérault), Robert Ménard, proche du Front national, qui avait utilisé cette même description.
 
Au-delà des polémiques, le nom d'Arnaud Beltrame a été inscrit sur les murs de très nombreuses communes de France avec un large soutien de la population. Un mouvement qui a même pris une ampleur inédite. "Il faut remonter à la Libération, avec le maréchal Leclerc par exemple, pour constater un tel phénomène, analyse Pierre-Marie Giraud, journaliste et auteur de Arnaud Beltrame, l’héroïsme pour servir (Ed. Mareuil, 2018). Cela fait quarante-cinq ans que je suis journaliste, et ce qui m’a frappé dans cette affaire, c’est l'émotion immense qui a saisi l’ensemble du pays. C’est un sentiment que je n’avais pas beaucoup vu auparavant."
 
Il est en effet très rare de voir fleurir autant de rues et de lieux publics au nom d'une personne morte si récemment. "Aussi rapidement, c’est plutôt rare. En général, on attend quelques années, confirme Jean-Marie Cassagne, spécialiste des odonymes (les noms des rues). Il y a toujours une arrière-pensée politique derrière ces décisions."
 
"Arnaud Beltrame parle à toutes les couches de la société. Il y a un an, toute la France se retrouvait derrière son cercueil." Déclare Christophe Carichon, historien à franceinfo.
 
Afin de comprendre cet engouement inédit, Christophe Carichon, historien et auteur de l'ouvrage Arnaud Beltrame, gendarme de France (Ed. du Rocher, 2018) revient sur la construction du "héros Beltrame". "Il y a eu une forme de sidération après son acte, les Français se sont sentis fiers. C’est un homme simple, de notre temps, qui a fait quelque chose d'extraordinaire. Les gens ont besoin de repère comme cela, de modèle et de héros. C’est la première fois qu’on utilise ce mot depuis la Libération ou au moins depuis les années 1950", explique-t-il.
 
Un phénomène accentué par la famille d'Arnaud Beltrame, selon cet historien. "On a une 'mère courage' et des 'frères courages'. Ils se battent pour leur frère. Ils sont unis dans le souvenir de leur fils ou frère", souligne Christophe Carichon. La mère d'Arnaud Beltrame, Nicolle, a ainsi pris la parole après le drame pour rendre hommage à son fils. Aujourd'hui encore, elle reste ébahie face à l'ampleur de ces hommages en tout genre. "Ça vient de tous les côtés, ça a même dépassé les frontières", explique-t-elle.
 
"C’est un grand honneur, mais c’est très prenant. Ça devient un travail au quotidien." Déclare Nicolle Beltrame à franceinfo.
 
Une déferlante qui accapare tout le temps de cette mère depuis un an. "Là, je dois encore aller acheter une carte pour écrire à Gérard Collomb [maire de Lyon, ancien ministre de l'Intérieur] qui m'a envoyé une vidéo de l'hommage qu'il a rendu à Arnaud, raconte-t-elle depuis le village breton où elle habite. Je suis sollicitée un peu partout pour Arnaud, le héros de la nation. Mais c’est aussi mon fils qui est décédé." Le temps du deuil semble difficile à trouver dans cette vague de sollicitations.
 
"Cela fait un an, mais comme on en parle tous les jours et qu’on est toujours dedans, c’est toujours un peu compliqué de passer cette étape", confirme son frère, Cédric Beltrame. Malgré les milliers de kilomètres qui le séparent de la France, la vague d'hommages qui a déferlé le touche tout particulièrement. "Nous sommes honorés. Nous sommes fiers, lance-t-il sans détour. Ça donne l’impression que les Français ont compris ce qu’avait fait Arnaud, qu’il avait été au bout de son engagement pour sauver des innocents."
Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article